samedi 20 avril 2024

La complémentarité, nouvelle perspective d’avenir pour la Tunisienne

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Ali Mezghani*

 

  Pour convaincre les hésitants et rallier les naïfs, les dirigeants d’Ennahdha ont promis de ne pas remettre en cause les droits que les Tunisiennes ont acquis. Ils se sont engagés à ne pas modifier le mode de vie des Tunisiens. Comme toutes les promesses politiques elles n’engagent que ceux et celles qui ont voulu y croire. Car le projet est plus fort que les promesses.

 

  Sans rappeler dans leur ensemble les tentatives de le faire passer (Charia source principale de la législation, mariage orf, interdiction de l’adoption etc.), ils n’ont pu et ne peuvent s’en défaire. Le statut de la femme est à la fois leur obsession et leur talon d’Achille. L’égalité en droit entre les hommes et les femmes est une idée qui, malgré les pétitions de principe, leur est insupportable. Dans les diverses déclarations islamiques des droits de l’homme les hommes et les femmes ne sont égaux qu’en dignité et en humanité. Jamais en droit. 

 

  L’adoption du projet de la commission de l’ANC en charge de la question vient de confirmer l’essence même de leur dessein. Alors que le principe de l’égalité juridique, qui a ses manifestations sociales dans la vie quotidienne, est admis dans l’ancienne constitution de 1959, le voici en question dans celle qu’ils cherchent à nous proposer, ou cherchent à nous imposer.   Les Tunisiens auront ainsi accompli une révolution pour revenir aux temps ancestraux où les hommes ont autorité sur les femmes, où celles-ci sont subordonnées à ceux-la. Piètre réalisation.

 

  Il est proposé de dire que les femmes sont complémentaires aux hommes. L’idée de complémentarité suggère la subsidiarité. Ce qui est complémentaire est ce qui est additionnel, auxiliaire, qui est annexe au principal. Est donc exclue du concept l’idée même d’égalité qui, cette fois, n’est plus requise ni en dignité ni en droit. Ce qui est subsidiaire et accessoire est non seulement secondaire mais il ne peut non plus participer de la réalisation de l’être. La femme ne fait donc pas partie de l’essence du corps social, puisqu’elle n’a pas le même corps que l’homme.

 

  Objet fétiche de décor et d’ornement, monture, elle pourrait bien être utile ; mais elle pourrait aussi être futile voire, par son propre corps, néfaste. Le corps féminin n’est pas constitutif de la société et ne peut ni y occuper la même place ni y jouer le même rôle que celui des hommes.

 

  La femme n’existe en effet pas par elle-même, et ne participe pas de l’humanité abstraite de l’homme ; elle ne se donne à voir que dans son statut social de mère, d’épouse, de fille, de sœur, etc. Elle n’est pas pleinement citoyenne. Si les deux sexes sont mutuellement complémentaires, comme pourrait le laisser penser le projet de texte, c’est qu’ils n’ont pas, ni l’un ni l’autre, d’existence propre. Dans une conception traditionnelle, le sujet n’est point autonome, il est seulement membre d’un groupe, familial, tribal, communautaire. 

 

  Si la complémentarité a le même le sens que l’égalité pourquoi s’y accrocher ? Pourquoi ne pas retenir du langage le vocable qui est en usage partout et qui est compris de la même façon par tous ? Il n’y a à cela qu’une seule réponse possible : préserver l’ancestrale norme de l’inégalité. Si les mots ont un sens, c’est qu’ils préfigurent du devenir.

*Ali Mezghani, professeur du droit des pays arabes à l’université de Paris Panthéon-Sorbonne.

 

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