samedi 20 avril 2024

Loi organique sur l’amazigh et rapports de force

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Mohamed Boudari

 

  L’officialisation de l’Amazigh ouvre un grand débat sur les modalités de la mise en œuvre de cette consécration constitutionnelle et remet en cause les politiques linguistiques, optées par l’Etat depuis l’indépendance jusqu’à l’adoption de la nouvelle loi fondamentale, dans la foulée des événements de protestation et de la dynamique sociale qui ont coucoué le Maroc l’an dernier.

 

  En effet, et comme le stipule l’alinéa 2 de l’article 5 de la constitution, une loi organique devrait définir le processus de mise en œuvre du caractère officiel de la langue amazigh, ainsi que les modalités de son intégration dans l’enseignement et aux domaines prioritaires de la vie publique, et ce afin de lui permettre de remplir à terme sa fonction de langue officielle.

 

  Seulement voila, ce processus et ces modalités ne sont pas vus du même angle et de la même façon par les différents acteurs du mouvement amazigh, les composantes de la société civile, les partis politiques et les décideurs qui détiennent les rênes du «pouvoir discrétionnaire» dans le domaine de la politique linguistique au Maroc.

 

   Les différents colloques et rencontres, organisés ces derniers temps, en disent long sur ces divergences et ces points de vue différents, auxquels s’ajoutent deux tendances contradictoires dont celle du ministère de la Culture, préconisant une plateforme sur le Conseil national des langues et de la culture avant de procéder à la mise en œuvre de  la loi organique relative à l’amazigh; le ministère en est, d’ailleurs, sur le point d’achever un document cadre relatif au Conseil national des langues et de la culture,  qui sera soumis à un large débat, selon les déclarations de Amine Sbihi, membre du Bureau politique du PPS et ministre de la Culture, lors du 3ème Forum national sur l’Amazighité organisé à Rabat.

 

   La situation actuelle risque de soulever les mêmes problématiques, liées à la politique linguistique, suscitées  juste après l’indépendance du Maroc, et qui se confondait avec la politique d’arabisation, induisant l’apparition de trois grands courants divergents:

 

-Un discours technocrate moderniste favorable au maintien de la langue française.

 

-Un discours traditionnaliste arabo-islamiste, mené par le parti de l’Istiqlal qui fut un fervent défenseur de cette doctrine d’arabisation à outrance.

 

-En fin, un discours anthropologique culturaliste visant la recherche d’un équilibre linguistique dans le cadre d’un partage du territoire entre la langue arabe et la langue française.

 

   Les défenseurs de l’amazigh étant absents à l’époque, ou du moins sans poids politique apparent, car cette réalité linguistique imposée au lendemain du recouvrement de l’indépendance, au delà de questions identitaires bien réelles, était le fruit d’un rapport de force sans cesse renégocié entre groupes linguistiques, que la hiérarchisation des langues approche ou éloigne du pouvoir.

 

  Aujourd’hui, avec l’officialisation de l’amazigh et la présence d’un mouvement amazigh bien déterminé à faire valoir les droits linguistiques culturels et identitaires amazighs, conforté dans cette volonté par un mouvement démocratique moderniste, a fait émerger une nouvelle tendance, s’ajoutant aux autres déjà présentes depuis l’indépendance. Dès lors se pose la question de savoir quelles sont les stratégies à adopter par ce mouvement, ayant milité pour que l’amazigh recouvre le droit de cité, et qui seront à même de réaliser ce rêve en renégociant le rapport de force politico-linguistique en place depuis des années.

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