samedi 27 juillet 2024

Ahwach: Quand Toundoute chantait et dansait !

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Aujourd’hui 10 août 2018 s’ouvre la 7éme édition du Festival National des Arts d’Ahwach à Ouarzazate sous la thématique  «le  patrimoine culturel, défi du développement durable » ! A cette occasion j’exhume  l’un de mes textes publié sur les colonnes du mensuel Le Libéral dans les années 90. Souvenirs, souvenirs…

 Quand Toundoute chantait et dansait !

Notre patelin a un nom dont personne ne connait la signification. Chaque vieux en avait une, la sienne. Petit village berbère d’une dizaine de feux, niché à l’ombre de l’Atlas en bordure d’un fleuve qui, le temps des grandes crues, emportait la moitié des parcelles cultivables. Les villageois s’accrochent au roc ingrat des montagnes environnantes et à quelques amandiers capricieux, leur seule richesse. Heureusement qu’une pure source, à l’eau étincelante, coule et été et hiver. On y vivait à l‘heure du coq, au rythme des saisons. Seules les fêtes venaient briser cette monotonie et une fête dans ces contrées sans la présence de LallaNejma dans l’Ahwach n’en est vraiment pas une.

Je me rappelle l’une d’entre elles où on mariait Zohra, l’une des jolies filles du Cheikh. Au cours d’un  splendide après-midi estival, on déroula les beaux tapis Znaga sur la place du village qui brillait de mille et une étincelles grâce au feu de bois improvisé dans un coin pour chauffer les tambourins. Les équipes des joueurs, hommes et femmes, se mettaient en place et les premiers coups des tambourins, accentués par l’écho des montagnes environnantes et des kasbahs, résonnèrent dans la vallée. Des villages lointains, on accourait pour être de la fête. Des miens l’écrivain Jean Orieux ne disait-il pas dans « kasbah en plein ciel », que « l’effort qu’ils ne font pas pour désherber leur champ, ils le font cent fois pour aller à un ahwach, à dix heures de marche ».

Une jolie colombe surgissait d’on ne sait où. Elle pivota au-dessus des têtes des joueurs avant de s’installer sur les hauteurs d’une Kasbah comme pour ne rien rater duspectacle. C’est à cet instant que Hassou Oulaïd, avec sa voix rauque et inimitable, lançait la première Tahwacht d’Aganza :

Assiyyah atguit a yatbir

Koullou ma ghilla ousafar tiwitid

(Errante tu es jolie colombe/ tu nous apporte tous les remèdes)

Hassou, après quelques pipes savourées à l’ombre d’un figuier, avait l’air en pleine forme créative. Des youyous stridents vinrent saluer ses performances poétiques et vocales. Il répéta l’Arassal plusieurs fois avant que cela ne soit repris, en alternance, par les chœurs d’hommes et de femmes. Les tambourinaires, debout, se mettaient  à terre. Seul le soliste se dégageait de l’ensemble. De sa position centrale, il pouvait superviser et diriger, tel un maestro, le déroulement du jeu. D’un seul geste, les joueurs levèrent le bras et frappaient sur les tambourins. Un coup, deux, trois…Les chœurs reprenaient plus les airs que la poésie. Les dizaines de tambourins «therri» ponctuaient les phrases rythmiques longues et lentes. Bengri, le gros tambour à deux peaux, vint les renforcer. Seul un grand gaillard tel Bahafid, à l’aide d’un tuyau en caoutchouc dans lequel est enfilée une tige en bois, savait le faire parler. Ahwach évoluait progressivement. Le rythme s’accélérait. C’est à ce moment crucial que le soliste (Tkhellif), aidé par un ou deux accompagnateurs (assif), déployait tout son art d’improvisation et de virtuosité. Son turban blanc défait, en sueur, il continuait d’infliger une cascade de coups à sa taganza. Et c’est à un dialogue musical extraordinaire, dominé par une batterie de percussions, auquel on assistait.

Toundoute sous la neige par Abderrazak Bnchaâbane

Les femmes, dans leurs étoffes chatoyantes et des bijoux étincelants, dansaient exécutant des figures chorégraphiques d’un haut niveau esthétique. Leurs corps se libèrent et épousent les vibrations d’un temps immémorial. C’est à cet instant, où l’ahwach est en plein accélération, là où il fallait faire le plus d’attention pour ne pas le faire tomber, que Lalla Nejma se dégageait avec un bol de terre, plein de clous de girofle moulus, à la main. Tout en continuant sa danse extatique, elle en mettait des pincées sur le creux des crânes rasés, non couverts par les turbans des joueurs. Ce qui les excitait et les encourageaient à continuer de jouer encore et de plus belle. Sur les terrasses qui dominent la place, d’autres femmes, aux belles parures, savouraient le thé à la menthe fraîche en grignotant les nouvelles amandes. Tintement de verres de cristal, indiscrétions chuchotées et rires étouffés ponctuaient chaque Afous. Evoquaient-elles Lalla Nejma, ses gris-gris, son parfum et ses extravagance ? Certainement.

Un geste de grâce du bras levé du soliste et le tout est ponctué par un ahayyou final et un dernier coup sur les tambourins, collectif et conclusif. Poésie, musique et chorégraphie. Un spectacle total et un moment de jubilation inoubliable. L’assistance avait à peine perçue le passage d’une séquence à l’une autre. Nous venions d’assister à un Afous réussi. Les équipes se relayaient et la fête pouvait continuera jusqu’à l’aube.

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