vendredi 29 mars 2024

L’anglais au Maroc: Trois questions à l’enseignant-chercheur Moha Ennaji

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 La langue anglaise, en tant que fenêtre ouverte sur le monde, s’impose de plus en plus dans de nombreux domaines scientifiques et technologiques à l’échelle nationale comme dans le système éducatif.

Moha Ennaji, enseignant chercheur à l’université Sidi Mohamed Ben Abdellah de Fès et auteur d’une série d’ouvrages, livre dans un entretien accordé à la MAP sa vision sur l’intérêt croissant de la langue de Shakespeare au Maroc.

Qu’est-ce qui explique, d’après vous, l’engouement grandissant des Marocains, notamment les jeunes, pour l’apprentissage de la langue anglaise?.

Cet engouement est dû au fait que de nombreux jeunes Marocains sont attirés par la langue anglaise, persuadés qu’elle leur offrira une meilleure éducation et des opportunités de travail (…) Un bon nombre d’entre eux voudraient terminer leurs études supérieures aux USA, au Canada ou au Royaume-Uni. Les jeunes sont devenus pragmatiques. C’est la fonction économique de l’anglais qui les attire: l’anglais, c’est la langue des secteurs de pointe, des sciences, du business, de l’Internet, des médias sociaux, de la haute technologie, etc. Aujourd’hui, les employeurs, au Maroc, demandent de plus en plus des profils plurilingues (arabe, français, anglais).

Est-ce que le Maroc s’achemine vers l’anglicisation de son système éducatif ?

La mise en place d’une section internationale du baccalauréat marocain-option anglais, et la floraison d’établissements anglophones dans les grandes villes confirment cet engouement.

Pour répondre à la demande croissante pour l’anglais, un certain nombre d’instituts privés et de filières anglaises ont vu le jour notamment à Casablanca, Rabat, Fès et Tanger. Mais l’anglais est aussi présent dans l’enseignement public, que ce soit dans les collèges, les lycées ou les universités. Dans plusieurs écoles privées, il est enseigné même dans les écoles primaires. Depuis huit ans, le gouvernement a lancé la section internationale du bac marocain, option anglais, dans laquelle les matières scientifiques sont enseignées en anglais dans neuf lycées, dont six publics. En bref, on assiste à une concurrence linguistique entre le français, seconde langue historique au pays, pour former les nouvelles élites. Donc, à mon avis, le système éducatif marocain va s’angliciser davantage dans l’avenir. Dernièrement, le ministère de l’Education nationale a annoncé la généralisation de l’enseignement de la langue de Shakespeare à partir de la première année du collège.

3- Selon vous, quelles sont les perspectives qu’offre la langue de Shakespeare aux étudiants marocains d’autant plus qu’elle s’impose désormais en tant que langue des négociations, du commerce et de recherche ?

Comme je l’ai déjà dit, les jeunes Marocains adoptent une attitude pragmatique. Ils pensent qu’en tant que première langue internationale, et en tant que langue qui n’a pas de connotations coloniales ni postcoloniales, la langue anglaise offre des opportunités importantes en matière de sciences, d’ouverture au monde, d’ascension sociale et de développement professionnel. C’est la langue étrangère qui ouvre les horizons les plus vastes en matière de connaissances, de recherches, de visibilité et d’échanges avec le reste du monde.

En outre, le Maroc a vu émerger une nouvelle élite anglophone, formée dans les grandes écoles et instituts américains, canadiens et britanniques. Celle-ci incite à un emploi plus soutenu de la langue de Shakespeare dans les milieux universitaires et dans le secteur privé et encourage la consolidation des rapports politiques et commerciaux avec le monde anglophone.

Des universités publiques et public-privées comme Al-Akhawayn et Mohammed VI Polytechnique offrent déjà des programmes en anglais, alors que l’université Hassan II de Casablanca offre un cursus d’économie en anglais et l’université Mohammed VI des sciences de la santé dispense, elle aussi, des diplômes de médecine enseignés en anglais, en plus de la présence d’un département d’anglais dans toutes les facultés des lettres.

Aujourd’hui, l’enseignement supérieur connaît des changements remarquables afin de satisfaire les besoins des nouvelles industries émergentes et de consolider la réputation grandissante du Maroc en tant que porte d’entrée reliant l’Europe et l’Afrique.

Cependant, la langue de Shakespeare ne va pas bientôt remplacer la langue de Molière. Cela demandera un changement radical de notre système d’enseignement et prendra des décennies, parce que le français, en tant que langue, culture et littérature, est très ancré dans notre société. Les facteurs économiques et politiques sont aussi à prendre en considération, étant donné les relations politiques et économiques privilégiées entre le Maroc et la France d’une part, et entre le Maroc et les autres pays francophones, d’autre part.

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