samedi 27 avril 2024

Derrière la réalisation des séries, des métiers artisanaux, à rebours de l’IA

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Bruiteur, prothésiste, styliste culinaire ou crieur: ces professionnels dans l’ombre des séries défendent leur travail d’artisan, à l’heure du virtuel et de l’intelligence artificielle.

Une vingtaine de ces métiers d’exception sont mis à l’honneur au travers d’une exposition, « L’envers du décor », jusqu’à vendredi à Lille (nord de la France), à l’occasion du festival international Séries Mania.

« Mais il en existe au moins le double. Au mieux, en général, on parle des costumiers« , tant les autres sont peu connus, tant pour les séries que pour les films, d’après Charlotte Blum, journaliste et réalisatrice qui a monté l’exposition.

« Ce sont des métiers passion, où l’on ne récolte pas d’+award+ (de prix, NDLR)« , constate-t-elle. Des personnalités fortes, aux réalisations pointues, se distinguent pourtant.

   Imagination

La Canadienne Janice Poon est venue à Lille faire la démonstration de son travail d’orfèvre en tant que styliste culinaire. Ses réalisations jouaient un des premiers rôles dans la série « Hannibal » il y a une dizaine d’années: oeufs brouillés au poumon, foie au torchon, rôti de jambe… « Le porc est ce qui ressemble le plus à l’humain », glisse-t-elle.

Elle cuisine de vrais aliments. « Cela aide les acteurs sur un plateau« , souligne cette artiste multicarte.

Au supermarché, Janice Poon voit volontiers des mains surgissant des légumes ou des cicatrices sur un citron. « Une huître, cela peut être un oeil », narre celle qui nourrit son imagination de lectures, musiques et peintures de natures mortes.

Sa méthode: lire les scénarios, envoyer des croquis, tester et s’adapter, avant, le jour J, de dresser des plats qui devront rester tels quels pendant 10 ou 20 prises… sans être sûre qu’ils apparaîtront après le montage. Mais « vous donnez tout sur un tournage », assure-t-elle.

L’exposition, en forme de galerie de portraits et d’expériences immersives, montre aussi le travail de l’Américaine Jessica Nelson, qui peint des lentilles de contact à la main pour des séries américaines comme « Obi-Wan Kenobi ». Elle s’est inspirée, là, de la grenouille dorée de Panama, pour la couleur et la profondeur. « Etre curieux de la nature me paraît primordial« , témoigne-t-elle dans cette présentation.

L’Américaine Ashley Peldon ne peut révéler sur quelles productions elle travaille: son job consiste à renforcer les cris des actrices ou doubler de puissantes créatures, en tant que « crieuse professionnelle ». Titulaire d’un doctorat en psychologie, elle est à la fois actrice, chanteuse, et a surtout du coffre.

La Britannique Polly Bennett se destinait à être danseuse, elle est devenue « chorégraphe de mouvement » à Londres. Elle a appuyé les actrices jouant la princesse Diana dans « The Crown ». « Il est facile d’incliner la tête » comme Diana mais il faut « trouver l’essence de la personne ». Ce mouvement « est un héritage familial », explique-t-elle dans une vidéo.

A l’oeuvre sur des Marvel notamment, le Britannique Dominic Mombrun est technicien dentaire. Il mène l’enquête avant de passer à la fabrication: le personnage est-il stressé? Fume-t-il? Que mange-t-il? Il fait du sur-mesure, avec une prédilection pour les monstres.

   « Tout donner »

Lors d’une masterclass, entre casseroles, spatules et seringues pour le travail de précision, Janice Spoon confectionne des yeux pour cocktail, une recette en vue de la série « Star Trek: Discovery ».

Gélatine et crème fraîche pour former une boule, raisin pour le cristallin, algue nori pour la pupille, vermicelles pour les nerfs optiques donnent un oeil plus vrai que nature et aisé à avaler pour des acteurs.

« Cela change tout à l’écran« , affirme Charlotte Blum. « Les communautés de fans regardent tout, il n’y a pas de droit à l’erreur », relève-t-elle.

La spécialiste constate cependant que « les séries sont de plus en plus une industrie« , elles s’enchaînent et « il est moins fait appel au travail manuel » – question de budget aussi.

« A une ère où tout devient numérique, ces artisans voient leurs métiers disparaître« , certaines tâches pouvant être réalisées par des machines ou simulées par des effets spéciaux de pointe.

Ces créateurs n’ont toutefois pas dit leur dernier mot: dans un univers ultra concurrentiel, ils cherchent davantage à former les jeunes générations, dont ils doivent souvent se faire connaître.

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