lundi 20 mai 2024

Archives du Maroc: Des Documents et des Amis !

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Sous la houlette  de Jamaâ Baida,  historien chercheur  passionné par la tache, «Archives du Maroc» ne cesse d’accueillir des documents, des soutiens et de compter de plus en plus d’Amis. Dernier événement en date la signature de la convention entre l’institution et «United States Holocaust Memorial Museum», le lundi 07 mai 2018 à Rabat.

Madame Stephanie A.Miley et Monsieur André Azoulay conseiller de sa majesté le Roi

La salle de conférences était comble. Une délégation américaine de haut vol, des chercheurs marocains à l’instar de Khalid Bensghir, de Mohamed Kenbib et autre Omar Boum, des personnalités juives et musulmanes…Tous ce beau monde s’est donné rendez-vous pour écouter les diverses interventions et assister à la cérémonie de signature. Des paroles, au-delà de l’Histoire et de la place des archives dans le devenir démocratique, émouvantes. Monsieur Jamâa Baida, directeur des archives du Maroc, Madame Stephanie A.Miley, chargée d’affaires à l’ambassade des Etats-Unis au Maroc, Monsieur Tad  Stahnke, director of International Educational Outreach, Monsieur André Azoulay, conseiller de sa majesté le Roi et Monsieur David Tolédano, président de la communauté  juive de Rabat, ont prit la parole pour évoquer les liens de notre pays avec les Etats-Unis et surtout la position  du  regretté Mohammed V concernant ses citoyens Marocains juifs au temps de Vichy et des nazis.

Signature de la convention de partenariat avec Monsieur Jamâa Baida et Monsieur Tad Stahnke

Après les documents du musée français mémorial de la Shoah,   de l’Alliance Israélite, le fond des archives du Maroc s’enrichit avec la remise d’un fond du mémorial de Washington. Une aubaine pour les chercheurs notamment sur l’histoire du judaïsme marocain  à un moment crucial, la deuxième guerre mondiale, et les débats suscités depuis.


Allocution de Mr Jamaâ Baida:

« Histoire » et « Identité »… plurielles

Le Maroc, qui a recouvré son indépendance en 1956, a été victime d’un contexte géopolitique qui a peu fait honneur à la diversité culturelle et à une histoire nationale plurielle. Dans ce contexte, la valorisation du legs juif ou amazigh (berbère) était perçue par les maîtres de l’heure comme un facteur de trouble susceptible de porter atteinte à la cohésion nationale réalisée au prix fort face à l’occupation coloniale.

Il a fallu attendre le milieu des années soixante-dix pour que l’université marocaine commence à s’ériger en pionnière de la valorisation d’une histoire plurielle et d’une diversité culturelle, posant ainsi les jalons académiques de ce qui sera plus tard, en 2011, consacré par la constitution marocaine soumise à référendum populaire et largement approuvée. La nouvelle constitution reconnait, désormais, la diversité des fondements et des affluents de la civilisation marocaine ; chose totalement passée sous silence dans les constitutions de  1962, 1970, 1972, 1992 et 1996. Nous assistons donc à une évolution politique remarquable au sein de laquelle le champ est ouvert à la réappropriation de notre patrimoine juif dont les origines sont ancrées dans notre histoire depuis plus de 2000 ans.

Le terrain est donc favorable  à de nombreuses actions de réappropriation, de réhabilitation et de valorisation du patrimoine judéo-marocain dans tous ses aspects : activités de la Fondation du Patrimoine Culturel judéo-marocain, du Musée du Judaïsme marocain à Casablanca, la restauration de synagogues et de cimetières, la célébration des saints juifs, la production de documentaires et d’œuvres cinématographiques, la réhabilitation fort symbolique du Mellah de Marrakech, la création  à Essaouira du Centre d’Etudes et de recherches Abraham Zagourysur le droit hébraïque, la prochaine inauguration dans la même ville d’un complexe culturel « Beit Dhakira »,  la  création de groupes de recherches universitaires dédiés à l’étude du judaïsme marocain, l’implication par diverses initiatives de la société civile, organisation de colloques et de séminaires et  publications d’ouvrages scientifiques. A ce propos, je souhaiterais mentionner particulièrement, la présente rencontre maroco-américaine oblige,  les traductions en arabe, sous le label de l’Université Mohammed V de Rabat, de plusieurs livres de chercheurs américains tels que :

–        Ceux de Daniel Schroeter sur « The Merchands of Essaouira » et «  The Sultans’sJew », traduction par Khalid Bensrhir

–        Celui de Omar Boumsur «  memories of absence. How Muslims Remember Jews in Morocco», traduction par Khalid Bensrhir

–        Celui de Sarah Abrevaya Stein, “Plumes: Ostrich Feathers, Jews and a Lost Global Commerce”traduit par Bensrhir sous le beau titre de يهود في مهب الريش: تجارة ريش النعام الدولية

–        On pourrait  égalementajouter à cette liste sommaire, la traduction en langue française par Mohamed Hatmi du livre d’Emily Gottreich sur le Mellah de Marrakech.

–        Enfin, je ne peux pas clore cette énumération sans signaler les deux excellents volumes spéciaux de Hespéris-Tamuda, la doyenne des revues marocaines, dédiés en 2016 au thème «  Juifs du Maroc et du Maghreb ».

Mais tous ces travaux académiques et ces initiatives de réhabilitation et de valorisions ont besoin de puiser leur légitimité et leur crédibilité dans les archives. Or, nous avons constaté depuis que nous assumons la lourde responsabilité de directeur des Archives du Maroc que nos fonds et collections relatifs au judaïsme marocain sont loin de refléter  l’importance du rôle joué par les juifs dans l’histoire de leur pays ; beaucoup de ces archives, particulièrement celles se rapportant aux XIX ème et XX e siècles, se sont retrouvées dans des centres étrangers et sous d’autres cieux. C’est pourquoi nous n’avons cessé de déployer des efforts pour enrichir nos collections, condition sine qua non pour donner une nouvelle impulsion à la recherche académique sur le judaïsme marocain ; cette recherche étant le relais indispensable à toute réappropriation réhabilitation et valorisation de ce pan de notre identité. Malgré quelques embuches, nos efforts n’ont pas été inutiles puisque pour les années 2016 et 2017, nous avons pu, grâce à des conventions passées avec les Archives diplomatiques de France, avec le Mémorial de la Shoah de Paris et avec l’Alliance Israélite Universelle, nous avons pu mettre à la disposition de nos chercheurs quelque 300.000 pages en version numérique.

 Monsieur Jamâa Baida, directeur des archives du Maroc

C’est dans le cadre de ce même élan que nous avons sollicité l’United States Holocaust Memorial Museum dont  j’ai eu, en ma qualité de professeur universitaire, l’opportunité de connaitre les riches ressources bibliographiques et archivistiques au mois de juillet 2009 à l’occasion d’un séjour de deux semaines à Washington DC autour d’un workshop sur les juifs d’Afrique du Nord pendant le Seconde Guerre Mondiale réunissant plusieurs chercheurs en provenance de six pays et de quatre continents. Depuis lors, je n’avais cessé d’imaginer une possibilité de faire bénéficier nos chercheurs marocains des ressources et expérience de ce centre américain. Et lorsque j’en ai fait part à sa directrice Mme Sara Bloomfield, lors d’une visite qu’elle a effectuée au Maroc au mois d’octobre dernier et pendant laquelle elle a été reçue officiellement par SAR le Prince Moulay Rachid, j’ai trouvé auprès d’elle un accueil favorable et les discussions ont continué, dans un esprit convivial, avec son collaborateur, M. Tad Stahnke dont je salue ici l’esprit coopératif et l’enthousiasme pour nos projets.  La convention que nous signons aujourd’hui va enrichir davantage nos collections et répondre à une attente marocaine en matière de valorisation du patrimoine judéo-marocain, en pleine conformité avec l’esprit de notre constitution de 2011et avec les prérogatives de l’établissement des Archives du Maroc. En outre, elle offrira à notre institution l’occasion de s’ériger en un centre maghrébin de ressources documentaires pour les chercheurs de tous les pays de la région, notamment ceux des pays où il est quasiment inimaginable de tenir une cérémonie comme celle qu’abrite aujourd’hui Archives du Maroc. En vertu de cette convention, il y aura des échanges d’archives, de différents supports, mais aussi tout un travail en commun pour valoriser le patrimoine judéo-maghrébin par colloques, expositions et publications. Autant d’activités que nous pouvons accueillir dès demain dans nos locaux provisoires, mais que nous accueillerons encore mieux dans notre futur siège à Technopolis, dont nous venons de lancer le préprogramme ; un siège qui sera doté de toutes les structures modernes dignes des grands chantiers culturels et scientifiques initiés sous l’égide de SM le Roi Mohammed VI. D’ores et déjà, je propose à notre nouveau partenaire, the United States Holocaust Memorial Museum, la préparation d’une belle exposition et d’un colloque international, avec publication des actes, sur les « Juifs d’Afrique du Nord pendant la Seconde Guerre Mondiale ». Certes, c’est un thème déjà abordé ailleurs, mais les archives permettent de revisiter l’histoire avec des questions nouvelles et de corriger des verdicts hâtifs prononcés parfois pour des motivations non académiques. Pour nous autres Marocains, cet épisode, si dramatique pour la diaspora juive et pour l’humanité entière, évoque la courageuse attitude de Feu le Sultan Sidi Mohammed Ben Youssef (futur Roi Mohammed V) qui, malgré la houlette répressive du pouvoir colonial, a osé user du peu de prérogatives dont il disposait encore pour essayer d’épargner à ses « sujets juifs »les souffrances inhérentes aux lois racistes antijuives de Vichy.

C’est dire combien les Archives du Maroc et l’United States Holocaust Memorial Museum de Washington DC, désormais partenaires, peuvent travailler ensemble pour hisser haut les grandes valeurs humaines de dialogue et de reconnaissance de l’autre dans sa différence ; des valeurs qui constituent un barrage contre les obscurantismes et les radicalismes de tous bords.

Enfin, pour conclure, je vous adresse, à vous toutes et tous, mes sincères remerciements pour être venus si nombreux afin d’apporter votre soutien et vos encouragements cet événement qui consolide notre foi commune en un Maroc fier de son unité dans la diversité. Les mots comme « histoire » et « identité », même exprimés au singulier, sont forcément pluriels.

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