dimanche 19 mai 2024

Festival des Andalousies Atlantiques d’Essaouira: Mogador ville ouverte !

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Au long de quatre mémorables journées, du 25 au 28 octobre 2018, la cité des vents, Essaouira-Mogador, a vécu au rythme    des sons, chants et danses réunissant juifs et musulmans  d’ici et d’ailleurs. Retour sur un Moussem pas comme les autres.

Je fais partie des amoureux de cette cité bénie qui a finit par m’adopter. Désormais tout le monde me considère   souiri.   La ville n’a-t-elle pas accueillie des populations en provenance des quatre coins du  Maroc grâce à la détermination de Sidi Mohammed Ben Abdallah, un roi visionnaire ?  En  construisant la ville, faisant appel à   un ingénieur français, Théodore Cornut, en lui traçant un destin commercial,  faisant venir des grandes familles juives spécialisées dans le commerce international, les fameux « toujar  sultan »…Sidi Mohamed ben Abdallah a ouvert  le Maroc au monde. Le port d’Essaouira devenait alors l’une des plates-formes du commerce international. De lui s’exportait la plume d’autruche, dans son enceinte débarquait, pour la première fois, le thé vert qu’on surnomma Souiri… 

Pour assister au Festival des Andalousies Atlantiques, j’ai  atterri  à Essaouira aux aurores, accueilli par le chant des mouettes et des goélands. Après avoir pris un bol de purée de fèves ou « bissara » au « Khabbaza » en compagnie des marins, je décide d’en faire le tour et le détour.  Je flâne sans me soucier de la direction. Seul avec les chats, à qui on a construit des maisonnettes en bois avec le lait et la nourriture, j’admire l’architecture, les portes, les signes à l’instar de l’incontournable « Barakat Mohamed » dont l’immense sculpture, signé par mon ami Houssein Miloudi, est installée à l’entrée de la cité. A la scala, je tombe sur une foule   surgit des guerres moyenâgeuses !  J’ai eu peur mais en fin de compte  ce n’étaient que les figurants d’une série américaine en tournage dans ville. Je pense à Orson  Welles et à son Othello, tourné ici et présenté à Cannes au nom du Maroc où il décrocha le grand prix en 1952. Son square à été bien aménagé, mais il faut y installer une statue à l’mage du grand réalisateur américain et international.

Les garçons installent tables et chaises, l’odeur du pain à peine sorti des fours vous donne l’envie  d’un café ! Je m’installe chez Driss Othmani, une institution datant des années vingt. L’endroit est emblématique avec ses photos, ses tableaux et surtout ses pâtisseries inimitables. La ville s‘éveille, les terrasses se remplissent, le va et vient et incessant. Des souiris, des festivaliers, des marocains de l’intérieur et de l’extérieur et des étrangers des quatre coins de la planète, les uns habitent dans la cité, les autres sont de passage. La foule est bigarrée et  cosmopolite et les langues sont multiples mais tout le monde se comprend dans une cacophonie bon enfant ! Ainsi est Essaouira, l’une des rares villes marocaines   où tout le monde se sente chez lui. Ce n’est donc pas étonnant que juifs et musulmans y vivaient en complète symbiose. Pendant un certain temps le nombre de juifs dépassait celui des musulmans ! 

Ouverte, tolérante, elle accueilli les babas cool avec leurs rites, costumes et manières de vivre. Un havre où ils trouvaient la paix pour célébrer l’amour, l’antimilitarisme et condamner la société de consommation. Quand à la musique, c’est la ville de l’éclectisme. Musique andalouse et ses cheikhs juifs et musulman, Malhoun, Chants de diverses confréries, Gnawa, Hmadcha, haddarat…Aujourd’hui ses jeunes et la jeunesse du monde entier  y célèbrent les divers genres de la planète world music. Pascal Amel y a fondé Planet Essaouira, un studio d’enregistrement , et les rencontres musicale y sont organisées au fil des quatre saisons : Gnawa, alizées et la musique classique, fado…et les Andalousies Atlantiques. Et que la fête commence !

Une cuvée inoubliable

Dés l’ouverture officielles sous le chapiteau installé place Bab Menzeh, le temps est donné par le discours de Kaoutar Chakir Benamara : Un discours inaugural à la fois en arabe, hébreu, français et un brin de tamazight évoquant un morceau de la haggadah de Pessah, chant de la fuite en Egypte qu’entonnaient les juifs berbères de la région de Toudgha. On a envie de le citer dans sa totalité mais contenons-nous   de l’accroche pour le moment : « Les artistes, les musiciens, les troubadours n’ont pas besoin de passeport ! Leurs sons, leurs rythmes, leurs chants et leurs danses transgressent cultures et frontières. Nés quelque part, ils s’implantent ailleurs au hasard des aléas de l’histoire.  Mais ils  restent universels et leur art  appartient au patrimoine de l’humanité. D’où qu’ils viennent, Essaouira-Mogador les accueille à bras ouverts. » 

Difficile de rendre compte de tous les concerts, des matinées débat à Dar Souiri. Difficile de rendre compte des coulisses, des répétitions, des rencontres avec des amis qu’on voit une fois par an, de nouvelles connaissances qu’on se fait. Difficile de rendre compte de l’ambiance d’un festival tel les Andalousies. Un festival   populaire et gratuit où l’on croise au détour d’une ruelle Martine Aubry, l’ex maire de Lille, Jean–Claude Casadesus,  grand chef de l’orchestre de la même ville,  Audrey Azoulay, ex ministre de la culture en France et actuellement Directrice Générale de l’Unesco, fille du conseiller de sa majesté le roi Mohammed VI, Mr André Azoulay, président de l’Association Essaouira-Mogador qui initie les diverses manifestations artistiques dans la ville. …Des mélomanes en provenance d’Israël, de France, de Belgique, du Canada et des Etats-Unis sans oublier le monde arabe avec, entre autres, les ambassadeurs de Palestine et du Qatar. Aucun Protocol, aucun zèle sécuritaire. Les « personnalités » se noient dans la masse   pour assister aux concerts.

 

Hapiyout, une troupe extraterrestre !

En ouverture du bal, c’est le grand orchestre Mohamed Brihi, sous la direction de Anas El Attar, qui nous a conviés à un concert exceptionnel de la musique andalouse. Comment oublier les voix de Sanaa Marahati, Hay Korkos et  Ahmed Marbouh ? Elad Levy  nous a éblouis avec ses solos en virtuose du violon.

Le lendemain vendredi, ce public fut au rendez-vous avec une grande fête maghrébine. Je cite sa présentation par Kaoutar Chakir Benamara : « Les politiques n’ont pas encore réussi  à unir le Grand Maghreb. Les artistes des cinq pays le font quotidiennement. Un grand moment vous attend avec la marocaine Hayat Boukhris, l’Algérienne Rym Hakiki et la tunisienne Syrine Benmoussa. Cerise sur le gâteau, un invité surprise sera de cette  fête maghrébine. » La surprise annoncée c’est Enrico Macias qui rejoignait les trois cantatrices pour entonner, entre autre, « bin l’bareh ou l’youm, layla ya mahlaha » !  

La chanson judéo-marocaine : de la tradition à la modernité

Oui ils sont venu d’Israël, oui ils sont marocains, oui ils sont de grands artistes. A Dar Souiri, au-delà de minuit, nous assistâmes à une nuit magique avec l’ensemble Hapiyout. Une troupe de divers âges et formations entre amateurs et professionnels qui nous ont transcendé avec des chants à la fois profanes et religieux dont, entre autres,  les fragments d’un texte fondateur de Yacoov Abihssira, grand rabbin du Tafilalet, terre de la mystique cabalistique. A les écouter, on croit qu’ils sont composés sur des airs Amazigh !

 Andalocios, une jeunesse à la fois enracinée et ouverte sur le monde. 

Quand aux Andalucios, ils sont difficiles à définir.  En 2015   Elad Levy,  violoniste, arrangeur et compositeur, crée l’ensemble avec la complicité d’une douzaine de jeunes des nouvelles générations issues des communautés judéo-arabes vivant en dehors de leurs pays ancestraux. Tous imprégnés de genres musicaux divers de la planète world music, ils revisitent à leur manière les chansons chaabi du répertoire judéo-maghrébin. Des refrains indémodables qu’ils nous présentent avec de nouveaux arrangements ô combien dans l’air du temps.

Le temps des gitans

J’ai eu la chance d’assister aux répétitions de Curro Pinana accompagné de la sensuelle danseuse Nadia Marquez   à Dar Loubane chez mon ami Mohamed Kabbaj. Sur scène, on assista  à la présentation d’un flamenco rare et puro dont seul Curro Pinana en connait les subtilités et les secrets. Celui qui disait que « le chant c’est le sang » est aussi universitaire qui consacra une thèse à son genre favori.

Accompagné de Said Belcadi, au  cours d’un autre concert, tous deux  célébraient  les poètes andalous, le musulman Mouhieddine Ibn Arabi et le juif Salomon Ibn Gabriol.  Un moment éblouissant !  L’espagnol chantait en arabe et le marocain en espagnol. Ya salam !

La clôture, qui a drainé un public innombrable, restera gravée à jamais dans les mémoires. L’idée qu’ont eue les jeunes organisateurs de réunir deux grandes dames de la chanson marocaines sur scène est plus que géniale. Hajja Hamdaouiya et Raymonde Bidaouiya ensemble ! On en rêvait ! Ce fut fait à Essaouira et nul part ailleurs. Au long d’une heure et demi, les deux mémés de plus de 80 piges ont assuré. Et comment ! Accompagné de fabuleux maestro Ahmed Cherkani et de son orchestre, elles ont fait danser un public en délire sur les morceaux de la ayta ou blues des plaines atlantiques. Leurs voix ont fait  vibrer les toiles du chapiteau et au-delà les murailles de la ville ! Les goélands ont quitté la ville pour l’ile adjacente. Ils seront de retour, aux aurores, pour annoncer un nouveau beau jour à Essaouira.  Au prochain festival !

Hajja Hamdaouiyya et Raymonde Bidaouiya, la rencontre inédite

 

Essaouira sauvegarde ses pierres et sa mémoire

Parmi les moments forts du festival l’organisation d’un concert à Bayt Dakira ou maison de la mémoire. Cette bâtisse, la synagogue Simon Attia, restaurée et réhabilitée dans les règles de l’art, abritera le musée du judaïsme souiri, avec ses hommes, leurs œuvres et leurs traces, ainsi que le centre Haïm Zafrani, l’éminent chercheur qui a rendu au judaïsme marocain et séfarade ses lettres de noblesse. Quand on pense à Haïm Zafrani, on pense au Matrouz auquel il a consacré des réflexions pertinentes. Le Matrouz   est la poésie qui réunit l’arabe et l’hébreu pour    célébrer l’Un sur les rythmes et « mizanes » de la musique andalouse, patrimoine commun aux deux communautés, juive et musulmane.

En cette après-midi, les cantors Haim Korkos et Anas Belhachemi nous ont fait revivre cette saga judéo-musulmane encore très présente au Maroc et dont Essaouira incarne l’esprit.

 

 Beyt Dakira

 

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