vendredi 3 mai 2024

Syndrome de Stockholm: Un demi-siècle plus tard, le mythe persiste

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« Tout le monde à terre, que la fête commence! », c’est avec ces mots exprimés en anglais que Jan-Erik Olsson, armé d’une mitraillette et sous l’emprise de stupéfiants, fait son entrée dans une banque du centre de Stockholm le 23 août 1973.

Démarre alors une prise d’otages qui va durer six jours et donner naissance à un concept connu du monde entier: le syndrome de Stockholm, une situation où des personnes séquestrées développent un attachement envers leur ravisseur.

Rapidement, la nouvelle du hold-up se répand. « Janne » Olsson a pris quatre employés, trois femmes et un homme, en otage. Une armée de policiers est dépêchée sur place et des tireurs d’élite pointent leurs armes vers la banque.

Le braqueur utilise deux otages comme boucliers humains et menace de les tuer.

« J’ai souvent pensé à cette situation absurde dans laquelle on s’est retrouvés », se remémore Kristin Enmark, alors 23 ans, dans son roman-témoignage « Je suis devenue le syndrome de Stockholm ».

« Terrifiés et coincés entre deux menaces de mort, d’un côté la police, de l’autre le ravisseur ».

« Janne » a plusieurs exigences: 3 millions de couronnes et la libération de son acolyte Clark Olofsson, l’un des criminels les plus dangereux du pays.

Pour tenter de calmer la situation, le gouvernement le lui accorde. Devant les téléviseurs, toute la Suède est suspendue à ce fait divers hors-norme, l’un des premiers à être retransmis en direct.

« Quand Clark Olofsson est arrivé, il a pris les commandes et mené les négociations avec la police, à sa manière », se souvient auprès de l’AFP Bertil Ericsson, 73 ans, photographe qui a couvert l’événement.

« Il avait du charisme. Il parlait bien », relate-t-il.

Jan-Erik Olsson se calme presque instantanément à son arrivée. Et Kristin Enmark voit en lui un sauveur.

« Il m’avait promis que rien ne m’arriverait et j’ai décidé de le croire », écrit-elle. « J’avais 23 ans, j’étais terrifiée ».

Plusieurs fois, elle prend publiquement la parole et défend ses ravisseurs.

« Je fais entièrement confiance à Clark et au voleur. Je n’ai pas du tout peur d’eux, ils ne m’ont rien fait. Ils ont été très sympas », dit-elle au deuxième jour de sa captivité lors d’un appel téléphonique avec le chef du gouvernement Olof Palme.

« Tu sais ce qui me fait peur? Que la police prenne d’assaut la banque ».

Au bout du sixième jour, la police décide de passer à l’action, perce le toit de la banque et y asperge du gaz. « Janne » se rend et les otages sont libérés.

« Ni amour ni attirance physique »

Dans l’équipe de négociateurs se trouve un psychiatre, Nils Bejerot. Il analyse en direct les comportements des braqueurs et des otages, et inventera par la suite le terme « syndrome de Stockholm ».

Le concept est maintenant contesté. « Ce n’est pas un diagnostic psychiatrique », relève auprès de l’AFP Christoffer Rahm, psychiatre et chercheur à Karolinska Institutet, auteur d’un article intitulé « Syndrome de Stockholm: diagnostic psychiatrique ou mythe urbain? ».

Le terme décrit un « mécanisme de défense qui aide la victime » à accepter une situation objectivement traumatisante, ce qui à son tour permet de réduire le stress éprouvé, expose-t-il.

Pour Cecilia Åse, professeure en sciences politiques à l’université de Stockholm et spécialiste des questions de genre, le concept cache une dimension politique.

Les dires de Kristin et de ses co-otages sont interprétés par les autorités « de manière très sexualisée, comme si elles étaient tombées sous l’emprise d’un syndrome », qu’elles avaient perdu tout contrôle ou toute raison.

Cette vision est alimentée par les nombreuses rumeurs, en particulier sur la relation entre Kristin et Clark. Si ces deux auront ultérieurement une aventure, rien ne semble indiquer qu’une histoire d’amour se soit nouée dans la chambre forte de la banque pendant ces journées d’août 1973.

« De mon côté, il n’y avait ni amour ni attirance physique, il était ma chance de survie et me protégeait de Janne », affirme celle qui a inspiré le personnage « Kicki » de la série Netflix « Clark ».

Les captives ont en réalité « agi de manière incroyablement rationnelle », estime Cecilia Åse.

« Elles ont appelé les médias, elles ont argumenté et essayé de convaincre les politiques et la police de les laisser sortir ».

Selon la professeure, « le syndrome de Stockholm est un concept inventé » pour masquer l’échec de l’Etat à les protéger.

« Vraie menace »

« Nous représentions une vraie menace pour les otages », concédera des années plus tard le commissaire Eric Rönnegård dans un livre qui examine les ratés de la police lors de ce braquage.

« Avec autant de policiers qui entouraient la banque, il y avait un risque que les quatre otages se prennent une balle ».

Signe de leur rancoeur contre les autorités, les ex-otages choisiront de garder le silence pendant le procès des ravisseurs.

Sur le plan psychologique, le chercheur Christoffer Rahm considère que beaucoup peuvent s’identifier au concept du syndrome de Stockholm.

« Développer un lien émotionnel positif avec quelqu’un de menaçant » est une réalité qui existe dans les relations abusives par exemple.

En comprenant la réaction psychologique de la victime, on allège le poids de la honte et de la culpabilité qu’elle ressent, conclut-il.

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