dimanche 5 mai 2024

Nina, toujours là!

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Marion Cocquet

 

  La reine de la pop allemande revient avec un album, « Volksbeat », et la publication en français de ses mémoires.

 

  Un visage blanc, coupé par une frange noire. Une paire d’yeux braqués (par en dessous) sur l’objectif, point trop maquillés cependant. Une bouche entrouverte. Et en-dessous, en lettres sages : « Nina Hagen, Confessions ». À 57 ans, l’égérie du punk allemand continue à n’être jamais là où on l’attend. En France, ce sera Saint-Benoît-du-Sault, dans l’Indre, berceau des éditions Bénédictines où la traduction de ses mémoires vient d’être publiée. Des « éditions laïques et chrétiennes qui doivent leur nom au lieu où elles sont implantées », précise la maison. Soit. Mais qui n’en dégagent pas moins un léger parfum d’encens, fort bienvenu pour un livre obsédé de bout en bout par la figure de Dieu.

 

  C’est que Nina Hagen, celle-là même qui ferait passer Lady Gaga pour une France Gall première période, a rencontré Jésus un jour brumeux de 1979, au terme d’un trip LSD. Et qu’elle s’est fait baptiser, quelque 30 ans plus tard. Protestante : son goût pour les catholiques (qui « sont pour ainsi dire des semi-hindous ; chez eux, c’est coloré, sensuel et baroque ; leurs messes sont presque de grands shows ») a été vigoureusement contrebalancé, explique-t-elle, par le souvenir de leur Inquisition. Le temple, pour autant, sera mâtiné de bouddhisme, d’hindouisme et d’une ode permanente à la liberté sexuelle, politique et musicale.

 

  Qu’importe. La grande prêtresse de la pop allemande manie mieux que personne les cocktails et les glissements. Témoins ses prouesses vocales, devenues une véritable marque de fabrique. Dès 1979 et le tube international African Reggae, Nina Hagen va de l’opéra au hurlement, du yodle à la scansion rocailleuse et de la ballade au rap, en roulant les « r » à n’en plus pouvoir. Une recette confirmée d’album en album et qui, manifestement, fonctionne toujours auprès des adeptes : Volksbeat, le cru 2012, continue de l’appliquer consciencieusement.

 

Passion punk

 

  Ses Confessions seront à cette image : le récit d’un cheminement vers Dieu qui s’offre, en incipit, un hommage semi-mystique aux Doors : « Tels des cavaliers sous la tempête des douleurs de l’enfantement éprouvées par nos mères, nous naissons et nous sommes jetés sur cette terre sans que nous puissions choisir comment, ni quand, ni où. » Suivent le portrait d’une RDA sclérosée (elle dédiera un rap à Mikhaïl Gorbatchev), d’une enfance portée par les milieux underground et des parents déjantés, de l’initiation au sexe et à la drogue, puis, après un premier tube qui impose en 1974 sa moue d’adolescente boudeuse (Du hast den Farbfilm vergessen, tu as oublié la pellicule-couleur), de la découverte à Londres du punk, qu’elle entreprend séance tenante d’inoculer à l’Allemagne.

 

  « Le punk, c’était un hurlement au changement, un authentique mouvement de la jeunesse où il y avait des idéaux, des convictions politiques tranchées, beaucoup d’amour, de solidarité et une chaleur animale réconfortante », explique Nina Hagen. Ce sera chez elle, en sus d’une voix progressivement laminée par des substances plus ou moins licites, des coiffures improbables, des tenues mêlant le cuir, la résille, le rose fluo et les épingles à nourrice, des yeux violemment peints de noir : la figure d’une poupée désarticulée et changeante, toujours gênante. « Nous portions des bottes de cavalier, nous nous tondions, nous avions des coiffures iroquoises et nous nous faisions inimaginablement laides parce que nous voulions être considérées, comprises et aimées de manière sincère et loyale. »

 

  La suite ? La rencontre, tour à tour, des OVNI (qui inspirent le nom de sa fille, Cosma), des Hare Krishna et de divers gourous. Puis, dans les années 2000, un engagement forcené contre la guerre en Irak à coups de manifestations et de lettres inspirées à la chancelière Angela Merkel… L’icône trash serait-elle devenue bien-pensante ? Que l’on se rassure. « Dieu merci, je suis toujours punk. »

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