dimanche 5 mai 2024

Bob Dylan, de l’enfance folk à la fulgurance rock

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Ariane Nicolas

  Cinquante ans de carrière, plusieurs milliers d’articles et de livres à son sujet, et pourtant, Bob Dylan reste une énigme. Qu’on le surnomme le « beatnik milliardaire », le « prophète de la folk » ou le « clochard céleste », Dylan nous échappe. L’exposition que lui consacre la Cité de la musique à Paris, jusqu’au 15 juillet, « Bob Dylan, l’explosion rock », ne prétend pas percer le mystère. Juste rassembler les pièces de ce puzzle vivant à ses débuts et son glissement de la musique folk vers le rock.

 

 

  Pour devenir Bob Dylan, le gamin de Duluth, Minnesota, n’a eu besoin que de cinq petites années : 1961-1966. L’exposition s’achève à ce firmament. Mais qui est réellement Bob Dylan ? « J’ai l’impression d’être né très loin de chez moi, et d’y retourner, là », confie-t-il, un brin mystique, à Martin Scorsese dans le documentaire que le cinéaste lui a consacré, No Direction Home. Dylan aime, par dessus tout, les questions sans réponses.

 

 

Naissances d’une icône

 

  Robert Zimmerman voit le jour en 1941 dans une ville moyenne du nord des Etats-Unis. Comme tous les jeunes de son âge, il s’y ennuie. Son éveil musical se fait avec Elvis Presley, Bo Diddley, Buddy Holly. Du rock’n’roll, principalement (une guitare de Buddy Holly est accrochée dans l’expo). Les études ne le passionnent pas. Une photo de classe visible à la Cité de la musique le montre de profil, seul parmi ses camarades à ne pas fixer l’objectif.

 

 

  Un jour de 1960, le jeune Zimmerman découvre Woody Guthrie, dont la musique et les textes sur l’Amérique profonde le convertissent à la folk music. Dans sa tête, sa carrière commence. Vers 20 ans, Robert « Bob » Dylan (son nom de scène serait une référence au poète gallois du XXe siècle Dylan Thomas) va dire adieu à Guthrie sur son lit de mort, dans un hôpital du New Jersey. Il peut désormais tracer sa propre voie : il débarque à New York, une guitare sous le bras, une casquette de marin sur la tête.

 

 

  Premier concert fin 61 à Greenwich Village, et premier article dans The New York Times, intitulé « A Distinctive Folk Song Stylist » (« un chanteur de folk qui a du style et sort du lot »). Un exemplaire est accroché à l’expo. Le succès frappe vite à sa porte. Il enchaîne les concerts, ses chansons sont reprises par des groupes connus. Les médias s’enflamment.

 

 

  Pour autant, difficile de dater la naissance de la légende. Quand le compositeur-interprète « explose-t-il » ? Lorsqu’il se produit dans cette petite salle du Village ? Lorsqu’il rencontre la chanteuse Joan Baez, qui le propulse dans la lumière ? Quand il tourne le dos aux folkeux en jouant de la guitare amplifiée lors d’un concert au Newport Folk Festival, en 1965 (vidéo ci-dessous) ? Quand il est accueilli en prophète à Paris, l’année d’après, pour un concert à l’Olympia ? Lorsqu’il met un coup d’arrêt brutal à sa carrière après un accident de moto, en juillet 1966 ? Un peu tout à la fois. « Get born » (« nais »), chante Dylan dans une de ses chansons. Comme une douloureuse injonction, qui explique en partie ses métamorphoses.

 

 

Brouiller les pistes

 

  Répartie sur deux niveaux, l’exposition parisienne a pour colonne vertébrale une allée de photos en noir et blanc prises par Daniel Kramer, un proche du chanteur. Dylan y est chaque fois différent : inspiré, joueur, timide, illuminé, prétentieux, androgyne, travailleur… Les multiples masques qu’il porte rappellent le film de Todd Haynes, I’m Not There, dans lequel le chanteur est incarné par plusieurs personnages, tel un kaléidoscope. Ses chansons, jouées en fond, renvoient chacune à un univers, une histoire unique.

 

 

  En sous-sol sont accrochés des albums du musicien, avec pochettes d’époque. En cinq ans, il est passé du chanteur timide à la bouille disgracieuse (Bob Dylan, 1962) au rocker snob vaguement psyché (Highway 61 Revisited, 1965). Son dernier album avant l’accident, Blonde on Blonde (1966), est peut-être le plus grand de tous. Sur la photo, il apparaît complètement flou. Prêt à disparaître ?

 

 

  Entre temps, le public et la critique ont voulu le faire rentrer dans mille cases. Celle dont il tente le plus de sortir est la figure du « protest singer », le chanteur engagé, qu’il traîne comme un boulet. L’exposition a elle-même du mal à en sortir, à l’image de la chanson Blowin’ in The Wind, classée parmi les titres politiques de l’artiste alors que lui-même l’a réfuté de nombreuses fois. On peut d’ailleurs lire cette citation au cours de la visite : « La réponse est dans le vent, et comme un papier qui tourbillonne, elle finira par se poser. Le problème, c’est que personne ne la ramasse… » Pas franchement partisan.

 

 

Un malentendu ?

   La partie la plus intéressante de l’exposition n’est peut-être pas celle dédiée aux années américaines de Dylan, que les fans connaissent finalement assez bien, mais celle qui raconte, en sous-sol, la vision que la France en a, notamment à l’occasion de son concert à l’Olympia le 24 mai 1966. On croise sur les cimaises Françoise Hardy et Johnny Hallyday, les 45 tours (et la statue !) qu’Hugues Aufray a consacrés à son idole. On sourit devant N’y pense plus, tout est bien, que le chanteur français a adaptée de Don’t Think Twice, It’s Allright. On s’attendrit sur les photos montrant les deux hommes, complices. Hugues Aufray était d’ailleurs présent lors du vernissage.

 

 

  Sur le pan d’un mur sont retranscrits les propos de Dylan lors d’une interview lunaire à la presse française ce 23 mai 1966. Les journalistes attendent des réponses ; lui refuse que sa parole prenne le pas sur ses textes. L’entretien tourne au foutage de gueule. « De quoi êtes-vous certain ? », s’enquiert un des reporters, en français. Réponse laconique : « De l’existence des cendriers, des poignées de portes et des carreaux de fenêtres. » Next question ?

 

 

  Au final, le tournant rock que souhaite décrire l’exposition n’est pas tant une « explosion » qu’une implosion. Pas un moment, hormis sur scène, où Dylan semble satisfait de l’instant. Après avoir « trahi » son public en passant au rock, délaissé ses compagnons de route (Joan Baez en tête) et créé sa propre légende, il étouffe. A Paris, Dylan porte des costumes rayés ou pied-de-poule, débarque aux interviews avec un pantin de bois (Finian), donne un concert en dents de scie qui scandalise ses fans. Mais rien n’y fait. Il a tout juste 25 ans et le monde à ses pieds.

 

 

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