samedi 27 avril 2024

Le carnaval de Rio a la fibre chinoise

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Alberto Armendariz

 

  Le carnaval de Rio, qui s’est achevé le 21 février, est un des symboles les plus connus de la culture brésilienne. Mais à y regarder de plus près, 80 % des costumes et des chars sont fabriqués avec des matériaux… »made in China ».

 

  « Ces dernières années, les produits chinois ont envahi le carnaval », déclare à La Nación Paulo Barros, le directeur artistique d’Unidos da Tijuca, l’une des écoles de samba les plus populaires de Rio. « Aujourd’hui, plus de 80 % des matériaux que nous utilisons proviennent de Chine ; non seulement les matières premières – comme les tissus, les confettis, les pierres -, mais aussi les produits finis, comme les masques et les perruques. C’est un problème de coûts, les produits chinois sont bien meilleur marché que les produits brésiliens. »

 

 

  Barros, qui travaille depuis dix-neuf ans sur les défilés du carnaval, explique que cette invasion de produits chinois s’est faite progressivement. Elle s’est accentuée ces cinq dernières années en raison de la forte augmentation du real, qui a entraîné une hausse des prix des produits locaux. Et pour étonner le public année après année, les écoles de samba ont besoin de plus de matériaux, de meilleure qualité et au moindre coût, pour tenir leurs budgets, qui varient entre 2 et 4 millions de dollars [entre 1,5 et 3 millions d’euros] par école.

 

 

 

Main-d’œuvre moins chère

 

  Dans les ateliers de la Cidade do Samba [la cité de la Samba, vaste complexe d’entrepôts consacrés à la production et au stockage des chars et des costumes des écoles de samba], lorsqu’on visite le pavillon de l’école traditionnelle Portela, on constate qu’une grande partie des matériaux utilisés pour le montage des chars sont fabriqués en Chine : les panneaux de polystyrène, les plastiques, les plumes, l’encre, et même la colle.

 

 

  « Avant, ce n’était pas le cas, mais aujourd’hui dès qu’un produit se vend bien les Chinois le copient sous une forme bien plus économique, parce ce que la main-d’œuvre est bien moins chère en Chine, et on les retrouve ici à un prix bien plus accessible », fait valoir Paulo Menezes, de Portela, qui a commencé à travailler sur le montage du défilé en avril.

 

 

  Comme la plupart des matériaux sont importés, l’année dernière, après l’incendie qui a détruit trois ateliers de la cité de la Samba (en février 2011), les écoles touchées ont eu du mal à acquérir de nouveaux produits à temps. Résultat, elles ont dû renoncer à participer au championnat.

 

 

Même phénomène à Venise

 

  Dans le quartier de Saara, sorte de marché ouvert au centre de Rio, les boutiques de déguisements pour le carnaval populaire des « blocos de rua » [défilés de rue] vendent aussi des masques, des perruques et des costumes presque exclusivement chinois. L’une des plus grandes boutiques, Babadão da Folia, envoie même chaque année un acheteur à la foire de Canton pour s’y approvisionner directement.

 

 

  « C’est une situation liée à la mondialisation, mais la dépendance qui en résulte est un problème », affirme M. Menezes, organisateur du carnaval, pour qui les pouvoirs publics devraient alléger les impôts et faciliter la production locale destinée au carnaval, qui est l’une des grandes attractions touristiques brésiliennes. « Si un jour l’économie chinoise s’effondre, poursuit-il, le carnaval de Rio va être en difficulté. Beaucoup d’usines brésiliennes ont cessé d’exister à cause de la concurrence chinoise et, aujourd’hui, plus personne ne fabrique ces produits dans notre pays. »

 

 

Dentelle de Bahia

 

  « Notre industrie textile ne s’est pas modernisée et ses produits restent chers », souligne M. Schmidt, un autre organisateur. « La Chine, en revanche, est le plus grand producteur mondial de tissus synthétiques, qui sont meilleur marché, faciles à laver et à repasser, et plus légers. Entre 70 et 80 % des tissus qu’on utilise pour le carnaval sont chinois, comme les microfibres, le lamé, le Nylon et le velours. » M. Schmidt précise que le carnaval de Venise connaît aujourd’hui le même phénomène.

 

 

  Malgré cette offensive chinoise, il existe encore plusieurs matériaux brésiliens servant à confectionner les costumes et les chars, qui vont de la fameuse dentelle de Bahia jusqu’au bois en passant par le coton, le jute et le bambou. Plus importants encore sont les artisans qui les façonnent. « La bonne humeur avec laquelle ils travaillent est indubitablement brésilienne et c’est ce qui compte quand on prépare le spectacle le plus grandiose de la terre », s’exalte M. Barros, de l’école de samba Unidos da Tijuca.

 

 

 

 

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