dimanche 19 mai 2024

Un partenariat Maroc-Russie: une route maritime traversant l’Arctique

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Le Maroc serait potentiellement intéressé par la route maritime traversant l’Arctique. Un projet qui pourrait booster les échanges commerciaux entre Rabat et Moscou.

Des navires en provenance des ports marocains pourront-ils bientôt traverser la route maritime la plus septentrionale du monde ? C’est en tout cas la volonté de Rabat et Moscou, qui y voient un moyen de booster leurs échanges commerciaux.

 “Des fruits marocains contre des produits de la pêche de Sakhaline”, a ainsi résumé Alexey Andreev, représentant commercial de la Fédération de Russie au Maroc, lors d’une réunion avec le gouverneur de Sakhaline, une île à l’Extrême-Orient du pays, le 10 juillet dernier.

Cette rencontre entre le gouverneur Valery Limarenko et les représentants commerciaux russes au Maroc, au Mexique, en Ouzbékistan, au Myanmar, en Pologne, en Allemagne, aux Émirats Arabes Unis et en Serbie, visait à explorer de nouveaux partenariats commerciaux.

D’après Alexey Andreev, le Maroc serait également potentiellement intéressé par “le développement de la Route Maritime du Nord et est prêt à exporter ses marchandises, en particulier divers fruits”, rapporte le site russe d’information locale ASTV.

L’aubaine du réchauffement climatique

Cette volonté de promouvoir la Route Maritime du Nord n’est pas anodine. “Pour la Russie, le développement de ce corridor de transport fait partie des priorités stratégiques”, indique à « L’Opinion » Alexey Andreev. “C’est un projet global qui pourra connecter les régions les plus reculées du monde, étendre les capacités logistiques et réduire les délais de livraison des marchandises”, poursuit-il. En effet, cette voie maritime permet théoriquement de réduire les distances entre les ports de l’Atlantique et ceux de l’Extrême-Orient russe et du Nord de la Chine.

Moscou fait le pari qu’avec le réchauffement climatique et la fonte des glaces, ce passage deviendra mieux praticable, et donc plus attractif pour les compagnies maritimes. Le gouvernement russe table sur un volume transporté de 190 millions de tonnes par an à l’avenir, contre 34 millions de tonnes actuellement. Et il est prêt à y mettre les moyens. Un programme gouvernemental récemment adopté vise la construction de plus de 50 brises-glace et de navires certifiés glace, ainsi que de ports, terminaux, centres de secours d’urgence et une constellation de satellites orbitaux.

Suffisant pour en faire un concurrent sérieux à la route Méditerranée-Canal de Suez ? “Même avec le réchauffement climatique, aucun scénario climatique ne dit que les routes de l’Arctique seront débarrassées des glaces dans les décennies à venir. Elles seront exploitables pour trois ou quatre mois, mais le reste de l’année il faudra faire intervenir un brise-glace”, nous apprend Hervé Baudu, professeur en chef de l’enseignement maritime à l’Ecole nationale supérieure maritime de Marseille et spécialiste des routes maritimes arctiques. Selon cet ancien officier de Marine, “aucune grande compagnie ne s’intéresse à cette route-là, parce qu’elle n’est pas économiquement viable pour le transport de conteneurs”.

Si le poids de cette route maritime demeure faible dans le commerce international, une autre activité est en plein essor. Le professeur de géographie à l’Université Laval de Québec et directeur du Conseil Québécois d’Etudes Géopolitiques (CQEG), Frédéric Lasserre, nous explique que dans cette région, plus de 90% du trafic (près de 95% depuis 2022) est constitué de trafic de destination. Il s’agit des navires qui se rendent dans l’Arctique dans le but d’y effectuer des activités économiques telles que le chargement/déchargement de marchandises ou la pêche, puis repartent ensuite. En contraste, le trafic de transit, qui est simplement de passage, représente une part beaucoup moins importante.

Des fruits contre du gaz

Le Maroc souhaite d’abord s’insérer dans le trafic de destination. En effet, le Royaume considère cette route comme une opportunité pour acheminer ses produits vers les régions les plus éloignées de la Russie. “Pour faciliter ce trafic, la Russie met à disposition de certains Etats partenaires des shuttle (porte-conteneurs brise-glaces, NDLR) qui permettent, à partir de relais déterminés, de reprendre la marchandise et de la faire traverser la banquise”, nous révèle le professeur de l’enseignement maritime, Hervé Baudu. D’après lui, le pays proposerait même de le faire à perte, histoire de promouvoir cette route maritime.

Côté russe, si l’ambition affichée est d’exporter des produits de la mer, le plus gros potentiel concerne les combustibles fossiles, soit le pétrole, le gaz et le charbon. “Moscou cherche à vendre davantage ses ressources naturelles pour accroître ses recettes et financer son effort de guerre. En ce sens, la Route Maritime du Nord voit son rôle de moteur de valorisation des ressources accru”, analyse le professeur de géographie Frédéric Lasserre.

Second plus gros consommateur de charbon en Afrique, le Maroc en importe près de 80% depuis la Russie. Cette route maritime permettrait de connecter les terminaux charbonniers de Mourmansk et Arkhangelsk aux ports marocains. Une autre source d’énergie fossile justifierait l’utilisation de cette route  : le gaz naturel. Une des plus grandes stations de liquéfaction de gaz au monde se trouve au Nord-Est de la péninsule de Yamal dans l’océan Arctique. Yamal LNG est entrée en service en 2017, et sera bientôt rejointe par une autre station en cours de construction, ArcticLNG 2.

Selon les experts, la Route Maritime du Nord deviendra dans les prochaines années une des plus importantes voies de transport de gaz naturel liquéfié (GNL) au monde. Le Maroc ambitionne de devenir importateur de GNL, et prépare pour cela des terminaux flottants de regazéification. Les volumes à importer resteront cependant marginaux par rapport aux capacités russes.

Maillon essentiel

En intégrant cette route maritime, le Royaume voit plus loin que le simple commerce bilatéral. Avec sa politique portuaire ambitieuse, le Maroc se rêve en plateforme logistique internationale. Il peut ainsi se positionner en tant que porte d’entrée vers tout le marché ouest-africain. Cette zone géographique intéresse particulièrement la Russie, qui cherche de nouveaux débouchés à ses exportations depuis la mise en place des sanctions occidentales.

Un enjeu bien compris par les autorités russes. “Pourquoi ne pas transformer le port de Tanger Med, entre autres, en hub logistique pour les pays de l’Afrique de l’Ouest, le reliant en perspective par la voie directe vers l’Extrême-Orient et l’Asie à travers la Route Maritime du Nord ?”, suggère le représentant commercial de la Fédération de Russie au Maroc, Alexey Andreev.

La volonté de développer les échanges commerciaux entre le Maroc et la Russie est portée par le plus haut sommet de l’Etat russe. Quelques jours après la clôture du Forum économique Russie- Afrique, le président Vladimir Poutine a révélé que Moscou travaillait sur des accords de libre-échange (ALE) avec plusieurs pays nord-africains, parmi lesquels figure le Maroc. Si cet accord venait à se concrétiser, il s’ajoutera aux 56 ALE déjà signés par le Maroc, faisant de notre pays un maillon essentiel non seulement entre Atlantique et Méditerranée, entre Afrique et Europe, mais également entre Afrique occidentale et Asie extrême-orientale.

Source: L’Opinion

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