samedi 27 juillet 2024

Hugo, portrait d’une légende

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Jean Montenot

 

  Génial pour certains, médiocre pour d’autres, Victor Hugo divise mais n’a jamais cessé, même 150 ans après la parution des Misérables, de fasciner. Retour sur un homme et une œuvre essentiels.

 

 

  Les honnêtes gens ne lui ont pas pardonné d’avoir trahi sa classe. Alors, ils lui firent cette réputation: du talent, soit, mais comme poète, et encore avec de fortes réserves! Voyez ces antithèses un rien mécaniques, ne sentent-elles pas le procédé ? Hugo s’y entend à faire sonner le tambour en toute occasion, avec ses vers qui grondent et ses processions de mots qui rugissent, soit. Mais il est creux. Leconte de Lisle le résumait en une formule : Hugo? « Bête comme l’Himalaya », et Claudel de renchérir, dans son Journal (été 1908) : « Un grand poète, si on peut l’être sans intelligence, ni goût, ni sensibilité. » Hugo résonnerait d’autant plus qu’il raisonnerait peu. Ses quelques idées sociales sont confuses, sentimentales, crypto-chrétiennes, pour ne pas dire un peu niaises, risibles même si elles n’étaient pas dangereuses… Faire pleurer Margot avec les Fantine, les Valjean ou les Cosette, passe encore, à condition de ne pas échauffer inutilement les faubourgs en suscitant de vaines espérances… Les mêmes n’insistèrent pas, par charité, sur ses autres lubies, comme ses chimériques « Etats-Unis d’Europe » ou ses plaidoyers pour la suppression de la peine de mort. Et de l’autre côté – celui des hugolâtres -, un Hugo convenable, figé, sanctifié même, dans le portrait marmoréen d’un grand-père devenu l’effigie d’un régime républicain enfin compatible avec l’ordre social. On finirait par en oublier le parcours tourmenté de Hugo. Le chemin fait l’homme et celui de Hugo l’a conduit du conservatisme de ses débuts à la république sociale, avec comme point d’orgue de ces mues : le coup d’Etat de 1851 et la rupture qui s’ensuivit, l’exil, contraint d’abord, volontaire ensuite, salutaire assurément. Une vie peu commune où se mêlent les rayons aux ombres, où l’élévation annonce la chute, et la chute, la rédemption, une vie en tout cas dont l’unité ne peut se juger qu’à l’aune de l’œuvre. Dans une note du 8 décembre 1859, Hugo déclarait : « L’ensemble de mon œuvre fera un jour un tout indivisible. […] Un livre multiple résumant un siècle, voilà ce que je laisserai derrière moi. » 

 

 

 

Hugo et l’argent

 

  Complexes et révélateurs, les rapports de Hugo et de l’argent. Né pauvre, mais non sans relations, ni ambition, il se fit rapidement un capital, une rente, mais ne devint propriétaire qu’à Guernesey, et encore pour éviter d’être à nouveau expulsé, une loi anglaise protégeant les propriétaires. Il fut généreux avec les pauvres et les amis politiques dans une proportion considérable – près d’un tiers de ses revenus. Il ne dépensait presque rien pour lui et sa famille lui reprocha sa parcimonie. Il n’était pas très chaud pour encourager les frivolités de sa femme ou Charles qui jouait. Enfin, il devait compter avec les incertitudes de l’avenir. Alors, si on a pu lui reprocher d’avoir manqué, vieillard avare, de reconnaissance envers Juliette qui lui demandait, alors qu’il en avait les moyens, de quoi améliorer un ordinaire chiche, peu d’écrivains, peu d’hommes, peuvent se vanter d’autant de libéralité envers leurs contemporains.

 

 

Le flambeau commençait quinquet

 

  « Ce siècle avait deux ans ! Rome remplaçait Sparte,/Déjà Napoléon perçait sous Bonaparte », quand naquit « dans Besançon, vieille ville espagnole », Victor Marie Hugo « enfant sans couleur, sans regard et sans voix ». Le « frêle roseau », « abandonné de tous », excepté de sa mère, telle est l’image fabriquée de sa prime enfance que popularisa le Hugo lyrique des Feuilles d’automne. Le flambeau commençait quinquet. Avant Victor, il y avait eu Abel (1798) et Eugène (1800). Le père, Léopold Hugo, sorti du rang en courageux soldat des guerres de la Révolution, s’était, comme officier, signalé par son savoir-faire en matière de répression des civils, bandits ou insurgés. Les Vendéens, les Calabrais rassemblés autour de Fra Diavolo, et les insurgés espagnols de la vallée du Tage en firent la dure expérience. En remerciement, il aurait été créé comte de Collogudo y Siguenza par son « ami » et protecteur, Joseph Bonaparte. Aussi Hugo dans sa période « arriviste » affecta-t-il se faire donner du « comte » ou du « vicomte ». Léopold avait rencontré en 1796 sa future femme – Sophie Trébuchet – une jeune Vendéenne, plus voltairienne que chouanne et sincèrement anticléricale. Peu après la naissance de Victor, elle devait se séparer de ce Léopold qu’elle n’aimait plus et regagner Paris et son amant, Victor Fanneau de Lahorie, un autre général, mais adversaire résolu de l’Empereur. Lahorie fut ainsi le parrain et un des précepteurs du petit Victor, certains soutenants sans preuve qu’il aurait même pu être son père. Impliqué dans le complot de Malet contre l’Empereur, il devait être fusillé, en octobre 1812. Le couple Hugo n’a donc quasiment jamais existé aux yeux du jeune Victor, ballotté avec ses frères entre Paris, où résidait Sophie Hugo, et les diverses affectations de Léopold, en Corse, à l’île d’Elbe, à Naples puis en Espagne. 

 

 

Pourquoi s’est-il laissé pousser la barbe?

  Ce fut pendant son exil à Guernesey que Hugo se laissa, en 1861, pousser la barbe. Voulait-il dissimuler les traces des esquinancies qui avaient affecté son visage ou protester contre une mesure du sinistre ministre de l’Instruction publique de l’époque, Hippolyte Fortoul, qui avait ordonné que les professeurs rasent leur barbe suspectée d’être un signe de reconnaissance entre républicains honnis ? Un peu auparavant Hugo avait pris l’habitude d’écrire debout à cause des suites d’un anthrax de quatre mois (1858), guéri par le bon docteur Terrier. L’amas de furoncles, ayant évolué en tumeur pustuleuse, lui avait littéralement labouré le dos.

 

 

Châteaux et gibets en Espagne

 

  En 1811, les trois frères se rendirent à Madrid avec leur mère qui les avait emmenés dans l’espoir d’obtenir quelque pension de Léopold. Le voyage dans un carrosse doré fut extraordinaire. Victor fit des provisions de « choses vues » : à Hernani, à Torquemada, à Burgos dont la cathédrale « aux gothiques aiguilles » servit de modèle à celle de son Notre-Dame de Paris. Il y forgea sa première sensibilité, espagnole, baroque, où le grotesque le disputait au sublime. Adèle Hugo, sa fille, rapporta qu’il aurait commencé à faire des vers à cette époque. Mais l’Empire entamait sa fin. Il fallut rentrer en France avec, sur le chemin du retour, le spectacle macabre des garrots et autres gibets dressés par les Français comme l’effrayant « crucifié » reconstitué de Ségovie, à l’origine sans doute de son aversion envers la peine de mort. A Paris, sa famille et ses maîtres d’étude l’encouragèrent à écrire. Déjà conscient de sa vocation, il aurait noté sur un carnet en juillet 1816 ce mot célèbre : « Je veux être Chateaubriand ou rien. »

 

 

Le conservateur littéraire

 

  Fort des quelques lauriers décrochés à des concours de poésie, mais déjà assez sûr de son talent, et sur le modèle du Conservateur de Chateaubriand, le jeune Victor « lança », avec son frère Abel, Le Conservateur littéraire. Ses poèmes de circonstance lui valurent l’estime des milieux littéraires et même une pension de Louis XVIII. Victor Hugo, poète ultra, affichait des idées catholiques et royalistes dans le ton de l’époque. Sans argent, pauvre même, avait-il d’autre choix ? D’ailleurs, sa destinée s’emballait : sa mère disparaissait le 27 juin 1821. L’année suivante, le 12 octobre, il épousait Adèle Foucher, une amie d’enfance, malgré les réticences du père de la promise qui hésitait à donner sa fille à un jeune homme sans le sou. Hugo n’était pas baptisé – qu’importe ! on fit croire que le certificat s’était perdu dans les affectations de son père. Vigny fut témoin. A en croire le ragot tardif que fit Richard Lesclide, le dernier secrétaire de Hugo, à sa femme, celui-ci fit preuve d’une extrême ardeur. Arrivé vierge au mariage, le « vendangeur ivre » se satisfit à neuf reprises de sa jeune fiancée. Pour Adèle Hugo commençait, au contact de cet amant priapique qui perçait sous le délicat poète romantique, le cycle des grossesses à répétition : Léopold, 16 juillet 1823 (il mourut la même année), Léopoldine, 28 août 1824, Charles, 4 novembre 1826, François-Victor, 28 octobre 1828, Adèle, enfin, 28 juillet 1830.

 

 

Eugène, le frère fou

 

  Singulier destin que celui de ce « frère marqué d’avance/pour un morne avenir ». Le « doux et blond compagnon » des « vertes Feuillantines » était aussi poète. Mais sa santé psychique donnait quelques inquiétudes, notamment quand on l’arrêta errant sans papiers entre Paris et Blois : il voulait vérifier si son père s’était bien remarié ! Le soir même des noces de Victor et d’Adèle, Eugène qui nourrissait une passion secrète pour la jeune mariée, s’effondra. On l’interna. Un peu plus tard, il essaya même de poignarder sa mère. Il faut lire son étrange nouvelle – Trahison pour trahison -, histoire d’un père qui sans le savoir dirige l’exécution de son propre fils. En 1837, Eugène mourut à Charenton, après quatorze ans d’internement. Victor, très affecté, lui dédia un poème.

 

 

  Le poète se doublait d’un romancier et d’un homme de théâtre. En 1818, à la suite d’un pari, il avait écrit en deux semainesBug-Jargal. Dans Han d’Islande (1823), son deuxième roman guère plus convaincant, il développait quelques-uns des leitmotive de son oeuvre : des réflexions morales sur la peine de mort, et sociales sur la pauvreté des mineurs de Norvège. Le dernier jour d’un condamné (1829), commencé un soir où, traversant la place de Grève, il vit le bourreau préparer et graisser le mécanisme de la guillotine et, plus tard, Claude Gueux (1834), inspiré d’un fait divers, narrant encore l’histoire d’un condamné, illustrèrent la constance de son engagement contre la peine de mort. Le dramaturge s’était lancé avec Cromwell (1827) qu’il flanquait d’une préface où il argumentait son opposition aux conventions classiques. Puis vinrent Marion Delorme (1829), d’abord interdit, puis monté en 1831, et Hernani qui déclencha, en février 1830, entre partisans et adversaires, une fameuse « bataille ». En pleine révolution de Juillet, il commença Notre-Dame de Paris (1831), long roman à la manière de Walter Scott. Cette première salve d’œuvres faisait de Hugo le chef de file du courant romantique. Autour de sa maison se pressèrent alors les Mérimée, les Lamartine, les Sainte-Beuve, les Musset, les Delacroix. Sainte-Beuve s’y pressa même de manière si insistante qu’il finit dans le lit de Madame Hugo. Lassée des assiduités de son mari, elle lui imposa une stricte chasteté conjugale, tout en demeurant pour le monde et jusqu’à sa mort en 1868 Madame Victor Hugo. 

 

 

 

Juliette Drouet, la femme de l’ombre

 

  De son côté, Hugo ne demeura pas chaste très longtemps. L’actrice Juliette Drouet, rencontrée le 16 février 1833, devint sa maîtresse, puis sa compagne de l’ombre, toujours disponible même quand le poète dardait ses rayons ailleurs. Dans Les misérables, par un singulier imbroglio autobiographique, les noces de Marius et de Cosette décrivent à peu près les noces de Victor et d’Adèle, tout en les situant au lieu du mariage de Léopoldine avec Charles Vacquerie et en les datant du jour de la rencontre avec Juliette Drouet. Hugo écrivit à Juliette le 26 février 1835 « je suis né au bonheur dans tes bras ». En fait, il eut bien d’autres « conquêtes » féminines : des admiratrices, mais aussi des domestiques ou des femmes pauvres, des relations tarifées aussi. Parmi les relations amoureuses, on nota Léonie d’Aunet, Madame Biard : « J’avais trente-neuf ans quand je vis cette femme/De son regard plein d’ombre il sortit une flamme,/ Et je l’aimai. » Juliette n’en demeura pas moins jusqu’à sa mort, en 1883, le fidèle soutien. Elle évita à Hugo d’être incarcéré lors du coup d’Etat de 1851. Elle l’accompagna dans son exil, à Bruxelles, puis dans les îles anglo-normandes, sans jamais partager son toit, aussi longtemps du moins que vécut Madame Hugo, l’épouse légitime.

 

 

Académicien et Pair de France

 

   Poète accompli, dramaturge aux succès divers – mais n’est-ce pas en ce domaine la règle ? -, Hugo, homme de théâtre, fonda, avec Alexandre Dumas, le Théâtre de la Renaissance. Il y créa Ruy Blas (1838). La « machine Hugo » donnait l’impression d’une locomotive filant sur ses rails. Malgré les réticences des académiciens hostiles aux romantiques, il finit par entrer à l’Académie française, après quatre humiliantes tentatives (1841). Louis-Philippe l’éleva à la pairie au printemps 1845. Ce n’était plus un arriviste, c’était un arrivé. Pour autant cet installé sentait bien depuis quelque temps qu’il s’étiolait. Déjà en 1835, il s’était décrit comme « un La Pérouse englouti » et dans une lettre à Adèle : « De combien de côtés je suis déjà écroulé ! » (16 août 1835) Crépusculaire dans son triomphe même, les titres des recueils de poèmes trahissent cette ambivalence du Hugo en quête des grandeurs d’établissement : Les feuilles d’automne (1831), Les chants du crépuscule (1835), Les rayons et les ombres (1840), comme si le poète pressentait que sa gloire exigeait de lui autre chose qu’une puérile course aux honneurs. Quelques événements contribuèrent à déclencher un de ces retournements qui font que dans la vie d’un homme il y a parfois un avant et un après. L’échec des Burgraves (mars 1843) mettait fin au drame romantique et à sa carrière théâtrale. Il y eut surtout la mort de Léopoldine, Didine, le 4 septembre 1843, à Villequier, lors d’une traversée en barque sur la Seine. Puis, dans un autre registre, le 5 juillet 1845, il fut surpris en flagrant délit d’adultère avec Léonie Biard – son statut de pair de France le protégea, mais Léonie fut incarcérée. Enfin, comme si le destin remuait son couteau dans une plaie vive, au deuil de Léopoldine vint se superposer, en juillet 1846, celui de Claire Pradier, la fille unique de Juliette Drouet. A partir de 1843, Hugo ne publiait plus – non parce que sa veine créatrice aurait été tarie, mais parce que sur le plan politique et humain il était en train de changer profondément. « J’ai grandi », lit-on dans Ecrit en 1846. Il projetait d’écrire « Les misères », un grand roman populaire qui devait traiter de l’injustice sociale. Le pair de France tournait mal, enclin à d’étranges accès démocratiques : « Voilà ce que m’apprit l’histoire. Oui, c’est cruel,/Ma raison a tué mon royalisme en duel./Me voici jacobin. Que veut-on que j’y fasse ? » 

 

 

 

La coupure du 2 décembre 1851

 

  La fin du régime de Louis-Philippe, la dissolution de la Chambre des pairs auraient dû faire de lui un adversaire de la seconde République naissante. Elu député conservateur aux élections complémentaires de juin 1848, Hugo comprit vite au contact de ses collègues de quel bois la majorité d’entre eux étaient faits. Quand on lui enjoignit de « préférer la consigne à la conscience », il répondit « non », d’abord en son for intérieur, puis de manière de plus en plus audible et nette. Ce « non » n’était pas sans prix : la République n’avait pas le vent en poupe, liquidée pour longtemps depuis le 13 juin 1849, quand le parti de l’Ordre, conservateurs et catholiques de l’espèce la plus douteuse, celle qui priait surtout pour que la Providence préserve rentes, actions et rendement des loyers, avait emporté le morceau et muselé la presse. Hugo adhérait, à près de cinquante ans, à des idées qui ne pouvaient rien lui rapporter. A l’heure où les masques finirent par tomber, où la République céda la place à la dictature, Hugo prit le parti du danger. Cette rupture avec le régime césarien de Napoléon III fut un point d’orgue dans sa vie, une coupure essentielle. Il brûlait ses vaisseaux, s’imposant l’exil et l’imposant à sa famille. Il était un réfugié politique, à Bruxelles d’abord, où il rédigea son fameux pamphlet Napoléon le Petit (1852) qui lui valut aussitôt l’exclusion du pays qui l’accueillait. Madame Hugo n’ayant pu le convaincre de rester à Londres, il choisit les îles anglo-normandes, Jersey, d’abord, dans la maison dite de Marine Terrace, « lourd cube blanc à angles droits ». A nouveau menacé d’expulsion, il « s’enguerneyseya » en mai 1856. Il acheta comptant la « masure » de Hauteville House – au demeurant une maison fort spacieuse et adaptée aux besoins de l’écrivain. Il la rénova de ses mains expertes et artistes, avec tout en haut le fameux look-out de verre d’où Hugo pouvait apercevoir la maison de Juliette. Pour la première fois, il était propriétaire. Les contemplations, parues simultanément à Paris et à Bruxelles, le 23 avril 1856, lui avaient donné un peu plus d’aisance. 

 

 

Accru par l’exil

 

  A vrai dire, ce fut une retraite bénéfique. Hugo ne s’en cacha pas : « Ma proscription est bonne et j’en remercie la destinée. » Au milieu de l’Océan (en fait la Manche), il y trouvait le milieu propice à l’épanouissement de son œuvre: celle du poète pamphlétaire, avec Les châtiments (1853), du poète lyrique avec Les contemplations (1856) ou du créateur épique avec La légende des siècles (1859), sortie tout droit d’une vision : « J’eus un rêve : le mur des siècles m’apparut./C’était de la chair vive avec du granit brut,/Une immobilité faite d’inquiétude […]. » Hugo était seul ou presque car il avait réuni sa famille, la faisant contribuer, dans un premier temps au moins, à ses travaux littéraires. La petite troupe s’augmenta de quelques proscrits, de pique-assiettes aussi et de nécessiteux des alentours qui avaient pris l’habitude de graviter autour du refuge du Maître. Hugo, de son belvédère où il tutoyait Dieu et les éléments, s’adonna quelque temps à la mode des tables tournantes. De cet exil insulaire, il écrasait de son mépris les méprisables : « J’y mourrai peut-être, mais j’y mourrai accru. » Enfin, à cette retraite, qui lui inspira Les travailleurs de la mer (1866), il dut l’achèvement du plus formidable de ses romans, commencé avant 1848, et enfin paru en 1862, sous le titre Les misérables, « l’esprit de la Civilisation » lui ayant soufflé ce nouveau titre lors d’une séance de spiritisme, le 15 septembre 1853. Le succès fut immédiat et mondial, savamment organisé par Hugo dont les anathèmes n’étaient d’ailleurs plus tellement craints par un pouvoir impérial devenu plus ou moins libéral, à même de souffrir les vaticinations d’un homme qui écoutait les oracles des « tables cancanières ». 

 

 

 

Papy République

 

  Début 1870, alors que les élections plébiscitaient à nouveau le régime qu’il n’avait cessé d’accabler de ses sarcasmes, Hugo était loin de penser que son exil allait prendre fin. La République, tant espérée et dont il s’imaginait prendre la tête pour continuer « [son] métier de flambeau », l’honora un moment. Elu, en février 1871, député avec le deuxième score à Paris (après Louis Blanc), il assista cependant de loin à la tragédie de la Commune, cette « bonne chose mal faite », retenu à Bruxelles pour régler la succession de son fils Charles. A vrai dire, il était devenu une sorte de patriarche des banquets démocratiques. Sur le plan privé, il s’occupa de ses petits-enfants, Georges et Jeanne, et publia, en 1873, son dernier grand roman, Quatrevingt-Treize, la réflexion sur la Révolution et ses dérives y étant développée avec en arrière-plan les décombres encore fumants de la Commune. En 1877, un recueil de poèmes au titre significatif, L’art d’être grand-père, édulcorait l’image de ce combattant de la liberté devenu sénateur. Après sa congestion cérébrale survenue dans la nuit du 27 au 28 juin 1878, il continua de publier – on a édité du Hugo jusqu’au milieu du siècle dernier – mais n’écrivait en fait plus beaucoup. Sa fin fut endeuillée par la mort de Juliette (1883). Il avait souhaité être enterré dans un cercueil de pauvre. Il fut exaucé, mais, à sa mort, le 22 mai 1885, des funérailles nationales furent votées par les deux assemblées. Neuf jours entiers furent nécessaires pour organiser la cérémonie : son cercueil, d’abord exposé sous l’Arc de triomphe, est, le 1er juin 1885, enterré au Panthéon, au milieu d’une foule immense et reconnaissante. 

 

 

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