dimanche 19 mai 2024

Benkirane négocie pour achever le travail d’Azzimane sur la Régionalisation

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  Le gouvernement devra élaborer une loi organique traitant dix aspects de la régionalisation non traités par la Commission ad hoc qui avait rendu son travail en mars 2011. Le débat qui sera lancé dans quelques jours ne touchera pas le travail de fond de la commission.

 

  C’est reparti pour un nouveau marathon de négociations, concertations et consultations. Le gouvernement s’apprête en effet à solliciter l’avis des partis politiques sur la loi organique sur la régionalisation. Selon une source de la majorité gouvernementale, les partis politiques recevront, en ce sens, un questionnaire dans les jours à venir. Il s’agira, entre autres thématiques, de recueillir leurs positions sur le découpage régional, le mode d’élection des présidents et des membres des conseils de régions, ainsi que la nature des compétences dont disposeront ces dernières. Une fois que les partis politiques auront répondu à ce questionnaire, une série de rencontres sera enclenchée, d’abord avec les formations politiques représentées au Parlement, ensuite celles qui ne le sont pas et enfin les autres acteurs non politiques concernés par le dossier. Ce modus operandi a été décidé lors de la dernière rencontre des partis de la majorité.

 

  En réalité, c’est un package, affirme notre source, qui englobe non seulement la loi organique sur les régions mais tout l’arsenal juridique électoral et qui aboutira aux prochaines élections locales après environ 14 mois de tractations entre partis politiques et de débats parlementaires. Ce questionnaire ainsi que toute la partie technique et logistique de ces tractations ont été élaborés par les services du ministère de l’intérieur, mais c’est le chef du gouvernement qui chapeautera ce débat national, dans le cadre de la commission de la majorité.

 

  On reconnaît, à peu de différences près, dans cette démarche, le processus engagé il y a un an et demi par la Commission consultative de la régionalisation (CCR). Cela veut-il dire que le travail accompli par cette commission qui s’est soldé, au bout d’une année de labeur, par un rapport soumis au Roi, en mars 2011, aura été vain ? Tout ce qui se dit en ce sens n’est que rumeurs infondées, affirme Amina El Massaoudi, professeur de droit constitutionnel à l’Université Mohammed V de Rabat et ancienne membre de la CCR.

 

  «Le rapport a été constitutionnalisé dans son intégralité. Toutes les rumeurs qui circulent sur le sujet et laissent entendre que son contenu sera revu sont déplacées et fallacieuses», assure-t-elle. Toutefois, tient-elle à préciser, «il y a des éléments, dans ce rapport, concernant le découpage électoral, le mode d’élections du président de la région, les compétences propres de la région et celles qui seront transférées par le gouvernement central et le mode de financement, entre autres, qui feront l’objet d’une loi organique».

 

Quelques détails à affiner ou tout un travail de fond ?

 

  Ahmed Bouachik, également professeur de droit à l’Université Mohammed V et  tout aussi ex-membre de la CCR, affirme qu’«il est exclu de remettre en cause les recommandations de la CCR. Cependant, son travail reste inachevé du moment qu’il faut une loi organique pour le compléter». L’article 146 de la Constitution énumère, en effet, dix aspects de la régionalisation qui seront régis par cette loi organique.

  Le processus de consultation que le gouvernement s’apprête à lancer vient donc en complément du travail de la CCR. Pour Mohamed Hanine, député RNI et président de la commission de la justice au Parlement, la Constitution a résolu les grandes problématiques, «ce qui reste c’est la mise en œuvre détaillée de ces principes».   Pour lui, «rouvrir le débat sur la régionalisation, c’est une perte de temps et une fuite en avant de la part du gouvernement. Nous risquons de perdre une autre année alors qu’il s’agit seulement de clarifier quelques points».

 

  Au PJD, on estime, au contraire, que la régionalisation avancée «représente de grands enjeux» et, affirme Abdessamad Sekkal, membre du conseil national, «il est nécessaire d’ouvrir un grand débat». Le PJD, comme le PAM d’ailleurs, note que le travail de la CCR a été accompli avant la nouvelle Constitution. «Depuis, affirme M. Sekkal, bien des choses ont changé. La nouvelle Constitution a hissé la région à un rang supérieur, le président de la région est investi du pouvoir d’ordonnateur, le rôle des walis et gouverneurs se limite à assister les régions dans l’exécution de leurs projets de développement,…». Le PAM estime, pour sa part, que la Constitution ayant largement dépassé le plafond des réformes contenues dans le rapport de la CCR, il est nécessaire de rouvrir le débat sur la régionalisation.

 

  Alors que certains partis ont déjà élaboré leur propre conception sur la région comme le PAM et le PJD qui a déjà mis en place une commission pour plancher sur la question, l’Istiqlal vient de former une commission similaire composée principalement des élus et responsables locaux et régionaux. Le RNI, pour ne citer que ces deux formations de l’opposition et ces deux partis de la majorité, affirme ne pas être informé de l’imminence d’un tel débat national sur la régionalisation. Le député et président de la commission de la justice affirme néanmoins que son parti est prêt à participer à ce débat.

 

Encore trop de zones d’ombre

 

  «Il s’agit d’un débat éminemment politique», observe le professeur Ahmed Bouachik. Bien sûr, l’un des points les plus importants de l’ordre du jour de ce débat reste le découpage régional. A combien sera fixé le nombre des régions ? Personne ne peut répondre avec précision à cette question. Tout le monde s’accorde à dire que dans le futur découpage, il convient de prendre en compte les spécificités politiques et culturelles et les éléments géographiques.

 

  La Constitution ne l’ayant pas fixé, il revient aux politiques de le faire. «Le nombre de 12 régions fixé par la CCR est certes basé sur des critères techniques et scientifiques, mais il s’est avéré que beaucoup de régions ne sont pas d’accord sur ce découpage», affirme Mohamed Hanine.

 

  Lors son dernier passage à la télé, lundi 4 juin, le chef du gouvernement Abdelilah Benkirane n’a pas non plus été clair sur ce point. Il a laissé entendre que le nombre actuel des régions (16) peut être revu à la hausse comme à la baisse. D’autres acteurs politiques estiment toutefois qu’un nombre réduit de régions renforcera leur homogénéité et leur cohésion et évitera une dispersion des efforts de l’Etat. 

 

Le second point de débat n’est autre que l’éternelle problématique du mode de scrutin. Cela revient à répondre à la question suivante : faut-il élire en même temps le président et le conseil de la région, ce qui revient à instaurer un régime de type «présidentiel», ou élire d’abord le conseil de région qui désignera à son tour le président (régime parlementaire) ?

 

  La future loi organique doit bien sûr répondre à d’autres questions non moins importantes. De combien de sièges seront formés les futurs conseils régionaux ? Comment seront définies les circonscriptions électorales ? S’agira-t-il d’une seule circonscription à l’échelle de toute la région ou faut-il opter, pour une meilleure répartition des voix, pour un découpage qui prend comme unité les provinces ?

 

  Et comme les régions seront des supra-structures qui englobent aussi bien les communes que les conseils provinciaux et préfectoraux, faut-il élire l’ensemble de leurs élus sur la même liste de manière à dégager des majorités cohérences dans l’ensemble des conseils élus, ou se limiterait-on à l’organisation simultanée des élections locales et régionales ?

 

  Autant de questions qui interpellent aujourd’hui les partis politiques et demain le gouvernement au moment de l’élaboration du projet de loi et le Parlement au moment de son examen et son adoption.

 

  Enfin, l’autre question tout aussi problématique est celle des compétences et pouvoir des futures régions. Cela sans oublier les rapports de pouvoir entre walis et gouverneurs et présidents de région, le pouvoir de contrôle, les conflits, que ce soit entre les régions et l’Etat, entre les régions et les représentants de l’Etat ou entre les régions elles-mêmes. Les finances locales et les structures d’accueil représentent également des zones d’ombre à éclaircir.

 

  Entre-temps, les élites locales devraient apprendre à composer avec une nouvelle donne. La région a été, jusque-là, une structure «virtuelle» sans grands enjeux  pour les élus locaux qui ont l’habitude de se focaliser essentiellement sur leur commune. Demain, ils seront amenés à composer avec une nouvelle réalité : une entité territoriale plus large avec une plus grande marge de manœuvre. Une réalité que les partis politiques doivent prendre en compte au moment de choisir les futurs conseillers régionaux pour que les futures régions ne butent pas sur les blocages que connaissent nos actuelles métropoles.

Par Tahar Abou El Farah.

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