dimanche 19 mai 2024

France: le loi sur le harcèlement sexuel

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Chantal Jouanno*

 

  La loi sur le harcèlement sexuel a été adoptée à l’unanimité des groupes du Sénat. Les associations, comme des magistrats, s’étaient pourtant inquiétés des risques de dérives dans l’interprétation de ce nouveau texte. J’ai relayé ces doutes dans notre Assemblée, article après article.

 

L’acte unique de harcèlement sexuel pourrait rester impuni

 

  En premier lieu, nous craignons que ce texte laisse impuni l’acte unique de harcèlement sexuel, l’acte unique mais d’une gravité suffisante pour détruire une personne.

 

  Certes le sens commun définit le harcèlement comme une répétition d’actes ou de propos. Pour autant, dans un contexte où une personne subit depuis des mois des humiliations non sexuelles, il suffit d’un acte à connotation sexuelle pour finaliser le harcèlement. Cet acte ne peut rester impuni.

 

  Or, le texte prévoit bien l’acte unique, mais il pose des exigences telles que rares sont les victimes qui obtiendront réparation. En premier lieu, elles devront prouver qu’il y a eu menace, ordre ou contrainte. Et plus encore, elles devront prouver que l’auteur de ces actes avait l’intention d’obtenir une relation sexuelle. Toutes les associations nous ont démontré l’impossibilité d’apporter cette preuve. Il est évident que rares sont les harceleurs qui avoueront leurs intentions malfaisantes. Il est plus qu’évident que la preuve matérielle est maigre en dehors de l’agression.

 

Le problème de l' »assimilation à du harcèlement sexuel »

 

  Et là se situe la deuxième et principale faiblesse de ce texte. La nouvelle loi dispose : « est assimilé à du harcèlement sexuel » l’acte unique commis sous la menace, l’ordre ou la contrainte dans le but réel ou apparent d’obtenir une relation sexuelle. Dans les faits, les auteurs d’agressions sexuelles pourront aisément plaider qu’il s’agissait de harcèlement sexuel, risquant ainsi une peine moindre. La lecture de la définition de l’acte unique suffit à s’inquiéter du caractère flou et ténu de la différence entre l’agression et le harcèlement.

 

  Naturellement, le Gouvernement n’a pas souhaité revenir sur son texte et les certitudes de son administration. Naturellement, personne n’a voulu courir le risque d’une nouvelle annulation de ce texte par le Conseil Constitutionnel si la définition de l’acte unique n’était pas suffisamment encadrée. Évidemment, les propos officieux affirmant que la moindre petite blague pourrait donner lieu à des poursuites pénales ont été nombreux.

 

Et la prudence l’a emportée sur l’intérêt des victimes.

 

Et pourtant, il était préférable de voter ce texte car il reste un progrès

 

  Un progrès incommensurable face au vide actuel, mais aussi un progrès évident face au précédent texte.

 

  Le harcèlement sexuel « classique », c’est-à-dire l’acte répété, ne nécessite plus de prouver que l’auteur avait le souhait d’obtenir une relation sexuelle. Preuve impossible à apporter, puisque, dans la majorité des cas, le harceleur souhaite principalement humilier pour détruire psychologiquement une personne.

 

  Le texte a consacré la « vulnérabilité économique » comme circonstance aggravante, reconnaissant ainsi l’immense fragilité des femmes qui élèvent seul un enfant et se voient parfois dans l’obligation de subir silencieusement toutes les humiliations.

 

  Le texte a inscrit l’identité sexuelle dans les discriminations pénalement répréhensibles, mettant un terme à l’ignorance de situations invivables pour les transsexuels.

 

  Le texte étend clairement la répression du harcèlement sexuel à la fonction publique et aux agents publics. Même s’il est bien dommage que le Gouvernement n’ait pas eu le courage d’inscrire l’obligation de prévention du harcèlement dans le secteur public, comme nous l’imposons aux entreprises.

 

  Au terme de cette analyse, les avantages du nouveau texte l’emportent sur les craintes. J’aurais pu adopter une posture d’opposition pure. J’aurais pu ajouter que le Gouvernement a bafoué l’initiative sénatoriale de la loi. Mais, je me refuse à une opposition politicienne que j’ai tant dénoncée par ailleurs. Le Gouvernement s’est engagé à mettre en place un Observatoire du harcèlement, nous pourrons ainsi corriger la loi si dans les faits elle se traduisait par l’impunité des agresseurs sexuels.

*Sénatrice UMP de Paris, ancienne ministre des Sports

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