lundi 20 mai 2024

Fertilité féminine, l’espoir venu du froid

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Sandrine Cabut

 

  Congélation de fragments d’ovaires ou encore vitrification d’ovocytes : l’arrivée de techniques permettant de mieux préserver les gamètes féminins est porteuse d’espoir pour de nombreuses femmes et même des fillettes rendues stériles par un traitement de radiothérapie ou de chimiothérapie, ou atteintes de maladies induisant une ménopause précoce.

 

  Dans l’avenir, ces méthodes pourraient même être proposées à des femmes sans contexte médical, dans un but « social » de report des grossesses. Pour l’instant, de telles pratiques de stockage d’ovules pour convenance personnelle sont interdites en France, comme l’ont rappelé des spécialistes réunis le 15 mars à Paris pour la Journée annuelle de la Société française pour l’étude de la fertilité. Mais ce marché est en pleine expansion aux Etats-Unis.

 

  Contrairement au sperme et aux embryons, que les spécialistes savent congeler sans dommage depuis des décennies, les gamètes féminins ont longtemps résisté aux tentatives de conservation. Appliquées aux ovules, les méthodes classiques de congélation induisent la formation de cristaux de glace, qui peuvent léser ces cellules. Mais la donne est en train de changer.

 

  L’une des techniques les plus étudiées consiste à prélever chirurgicalement un ovaire entier ou des fragments, puis à les congeler. Le moment venu, les fragments sont décongelés puis greffés pour rétablir les fonctions ovariennes et restaurer une fertilité. Cette procédure s’adresse surtout aux femmes et aux fillettes qui doivent subir un traitement potentiellement stérilisant (gonadotoxique), dans le cadre de la prise en charge d’un cancer ou d’autres pathologies non cancéreuses. Depuis 2004, elle a permis la naissance d’une vingtaine d’enfants dans le monde, dont deux en France.

 

  « Les principales limites de cette technique sont d’une part la courte durée de vie du greffon, d’autre part le risque de réintroduction de la maladie après greffe », a expliqué le docteur Sophie Mirallié (service de biologie de la reproduction, CHU de Nantes). Pour améliorer la survie des follicules, les spécialistes cherchent à optimiser les procédures de congélation, notamment en ayant recours à une congélation ultrarapide, appelée vitrification. Autorisé en France depuis la révision des lois de bioéthique de 2011, ce procédé empêche la formation de cristaux, ce qui permet de mieux préserver les cellules ovariennes. Les chercheurs testent aussi des molécules qui protègent les vaisseaux du greffon.

 

  L’autre grand défi est de pouvoir vérifier que le prélèvement ovarien ne contient pas de cellules tumorales, qui risqueraient d’être réintroduites dans l’organisme lors de la greffe. La question se pose notamment dans le cas des leucémies. « Quand les problèmes techniques seront résolus et que l’innocuité et l’efficacité de la greffe seront optimales, les indications de congélation d’ovaire pourront croître, assure le docteur Mirallié. Un prélèvement pourra alors être proposé plus systématiquement avant un traitement gonadotoxique. »

 

  Jusqu’ici, le recours à la préservation ovocytaire reste de fait peu fréquent dans notre pays. « Les premiers prélèvements ont été effectués dès 1995, mais l’activité a surtout commencé à croître après l’annonce de la première naissance, en 2004 », continue la biologiste. Chaque année, environ 150 nouveaux prélèvements de tissus ovariens sont stockés dans les centres français (la proportion est de l’ordre de 4 500 pour les spermatozoïdes). Et, au total, 1 200 prélèvements sont conservés, selon le dernier bilan du Grecot (Groupe de recherche et d’étude sur la cryoconservation de l’ovaire et du testicule), daté de juin 2011. Une moitié concerne des femmes de plus de 18 ans ; l’autre se répartit entre des fillettes de moins de 12 ans, et de 12 à 18 ans.

 

  Face à une fillette avec un cancer, les oncopédiatres n’ont pas toujours le réflexe de proposer aux parents un prélèvement de tissu ovarien avant le début du traitement. Des jeunes patientes sont adressées après un premier cycle de chimiothérapie, déplorent des spécialistes. Un oubli d’autant plus regrettable que les greffes de tissus ovariens peuvent avoir d’autres intérêts que celui de restaurer une fertilité. Pour la première fois au monde, une équipe française a ainsi réussi à induire une puberté « naturelle » chez une fillette de 13 ans, traitée pour une drépanocytose (forme d’anémie héréditaire) sévère. L’observation a été publiée dans The Lancet, le 11 février. Habituellement, chez ces enfants, la puberté n’est obtenue que par des stimulations hormonales.

 

  Des alternatives à la congélation de fragments d’ovaires sont envisagées, dont la conservation d’ovocytes. Le prélèvement est moins lourd techniquement que pour un fragment d’ovaire, mais il ne peut être réalisé avant la puberté. « Le développement des techniques de vitrification des ovocytes va induire de profonds changements dans les pratiques d’assistance médicale à la procréation (AMP) », assure le docteur Pierre Boyer (hôpital Saint-Joseph, Marseille).

 

  Concernant l’autoconservation d’ovocytes, les indications restent à définir mais elles seront sans doute complémentaires de la congélation de fragments ovariens, selon lui. Par ailleurs, pour les couples ayant recours à une AMP, c’est une alternative éthique à la congélation d’embryons. « La femme devient décisionnaire de la conservation de ses gamètes », souligne le biologiste.

 

  Une autre piste se profile pour préserver la fertilité féminine. Le 26 février, une équipe américaine a publié une étude mettant en évidence, chez des femmes adultes, la présence de cellules souches germinales capables de se transformer en ovocytes, bousculant ainsi le dogme d’une réserve limitée d’ovocytes. Des résultats intéressants, mais pas complètement convaincants, selon Alain Gougeon, directeur de recherche Inserm (Lyon).

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