vendredi 19 avril 2024

L’alliance avec les djihadistes divise les Touareg maliens

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L’alliance avec les djihadistes divise les Touareg maliens

 

  La rébellion touareg est au bord de l’éclatement depuis la proclamation d’un Etat islamique dans le nord du Mali et l’annonce d’une fusion entre le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), qui se veut indépendantiste et laïque, et le groupe islamiste Ansar Eddine, proche d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI).

 

  A peine signé le 26 mai, l’accord a été dénoncé par une partie des cadres du MNLA installés en Mauritanie ou en France, tandis que d’autres, sur place au Nord-Mali, dont le secrétaire général du mouvement, Bilal Ag Cherif, ont repris, samedi 2 juin, les discussions avec Ansar Eddine. Depuis le 6 avril, date de la déclaration unilatérale de l’indépendance du territoire touareg, l’Azawad, deux semaines après un coup d’Etat militaire à Bamako, le Mali est coupé en deux.

 

Rompu, l’accord entre les frères ennemis du MNLA et d’Ansar Eddine n’a jamais été rendu public. Le texte, parvenu au Monde, comporte deux parties : la première est un « protocole d’entente » de deux pages qui annonce, précédée d’un verset du Coran, la création d’un « Conseil transitoire de l’Etat islamique de l’Azawad » (CTEIA).

 

  Signé à Gao le 26 mai – le 5 Rajab 1433 selon le calendrier islamique -, par le secrétaire général du MNLA, Bilal Ag Cherif, et par un représentant d’Iyad Ag Ghali – le chef d’Ansar Eddine -, Alghabass Ag Intalla, ce protocole réaffirme l’attachement à l’indépendance de l’Azawad à travers l’instauration d’un Etat islamique « qui doit appliquer la législation islamique dans tous les domaines de la vie, basée sur le Coran et la Sunna », et la constitution d’une « armée unifiée ». « Tout désaccord avec l’un des principes fondamentaux de la religion » est source d’abrogation, est-il précisé.

 

  Le deuxième document de 12 pages daté de Gao le 25 mai, baptisé « Cadre institutionnel et réglementaire provisoire des instances de l’Etat islamique de l’Azawad », entre dans les détails. Il stipule que le CTEIA formé par 40 membres (20 du MNLA, 20 d’Ansar Eddine) est supervisé par un Conseil de choura, composé d’oulémas et de notables, à qui revient le dernier mot en cas de désaccord.

 

APPLICATION DE LA CHARIA

 

  Le CTEIA lui-même est une sorte de gouvernement de 19 membres, avec un président, deux vice-présidents et 16 « chargés d’affaire » dans tous les domaines (défense, finances, sécurité, justice, santé, éducation…). Le président, dont il n’est pas précisé le nom, est le chef des armées et a notamment « pour mission principale la conservation de la religion » et « l’application de la législation islamique ».

 

  Le responsable de la justice applique la charia et « met en place la hisba », la police islamique, tandis que le chargé des affaires religieuses veille aux mosquées et aux prédications. Pour faire partie de ce gouvernement, quelques critères ont été établis : il faut être un « croyant pratiquant » originaire de l’Azawad, et savoir lire en arabe… et en Français.

 

  La réaction a été immédiate. Le 30 mai, réunis dans une coordination des cadres de l’Azawad, plusieurs responsables du MNLA ont rejeté tout net l’accord. « Au regard de la posture fondamentaliste, particulièrement celle du djihadisme salafiste prônée par Ansar Eddine, inconciliable avec la ligne politique du MNLA (…) et compte tenu de la forte imbrication avérée entre AQMI et Ansar Eddine, les cadres, notables et oulémas de l’Azawad (…) expriment catégoriquement leur désapprobation », écrit leur porte-parole, Habaye Ag Mohamed. Les contestataires invitent dans la foulée le MNLA « à assumer pleinement ses responsabilités en rompant sans délai » avec l’accord.

 

« FAIRE FACE AU MONSTRE DU TERRORISME »

 

  Le même jour, de Nouakchott, en Mauritanie, où elle est installée depuis quelques mois avec une partie de la direction du MNLA, Nina Walet Intalou, seule femme membre du bureau exécutif, s’y est, elle aussi, vivement opposée. « Malgré ce que disent les médias internationaux, le MNLA n’a pas dévié de la ligne de conduite qui est la sienne, écrit-elle dans une lettre ouverte. Tout comme beaucoup de membres du MNLA, je rejette catégoriquement cet accord, car éviter une guerre tribale et fratricide dans l’Azawad ne doit pas être synonyme de l’acceptation d’un diktat imposé par des groupes obscurantistes. »

 

  La dirigeante touareg en appelle à la communauté internationale qui ne « peut plus se permettre de rester en spectateur » face à « un ennemi commun ». « La jeune   république de l’Azawad, poursuit-elle, ne peut pas seule faire face au monstre du terrorisme alors que les Etats ouest et nord-africains ont été incapables de le combattre pendant une dizaine d’années. » Autre dirigeant a avoir pris ses distances, Hamma Ag Mahmoud a transmis, au nom du bureau politique, un texte dans lequel il consomme la rupture « devant l’intransigeance d’Ansar Eddine sur l’application de la charia ».

 

  Dans le nord du Mali, la situation paraît cependant moins tranchée. Une partie des troupes du MNLA a combattu avec celles d’Ansar Eddine pour conquérir des villes comme Tombouctou avant d’en être écartées. Et l’histoire de la rébellion touareg est jalonnée de scissions Le chef d’Ansar Eddine, Iyad Ag Ghali, est lui-même l’un de ses anciens leaders dans les années 1990.

 

  Divisé, le mouvement touareg tente aujourd’hui d’éviter un nouvel éclatement. « Nous avons signé un accord avec nos frères qui étaient du côté d’Ansar Eddine, confie au Monde Nina Walet Intalou, en pensant qu’ils allaient quitter l’organisation terroriste. Nous avons accepté un Etat islamique démocratique en se disant que nous sommes déjà musulmans, mais les discussions et le document envoyé par Iyad Ag Ghali sont vraiment contraires aux objectifs du MNLA, à notre culture. En réalité, il voulait un Etat taliban. »

Isabelle Mandraud

 

Six mois de rébellion au nord du Mali

 

– 17 janvier Début de la rébellion touareg au nord du Mali. En quelques semaines, les combattants du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) conquièrent les postes militaires maliens, avec l’appui d’Ansar Eddine et d’Al-Qaida au Maghreb islamique.

 

– Février-mars Les groupes islamistes armés s’imposent sur le terrain. Des milliers de réfugiés affluent aux frontières.

 

– 22 mars Un coup d’Etat militaire à Bamako chasse du pouvoir le président malien, Amadou Toumani Touré (ATT).

 

– 1er avril Gao et Tombouctou sont aux mains des rebelles.

 

– 6 avril Le MNLA proclame l’indépendance de l’Azawad, non reconnue par la communauté internationale. Le Mali est coupé en deux.

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