jeudi 28 mars 2024

après le départ du M23, des cadavres et des fosses communes

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« Ils leur ont dit de s’asseoir au bord du trou et ils ont commencé à les abattre ». Du massacre de l’église adventiste de Kishishe, Michel* a tout vu. Terrorisé, enfermé dans les toilettes extérieures de l’église, il priait pour que les rebelles du M23 ne le découvrent pas.

C’était le 29 novembre, dans ce village de quelques milliers d’âmes perdu au milieu des collines du Nord-Kivu où, selon l’ONU, plus de 170 civils ont été tués par le M23.

Ce matin-là, les rebelles redescendent sur Kishishe, bourgade de l’Est de la République démocratique du Congo dont ils s’étaient emparés une semaine plus tôt, après des combats contre l’armée congolaise et des milices locales.

Des balles crépitent. Les « maïmaï » (appellation de certaines milices communautaires) attaquent la colonne de rebelles et courent se cacher dans les habitations. Le massacre va commencer.

Depuis un an, les combattants du M23 – « Mouvement du 23 mars », groupe armé majoritairement tutsi – progressent dans le territoire congolais, prenant le contrôle de routes principales, s’emparant d’agglomérations et de postes-frontières.

La prise de Kishishe s’inscrit aussi dans un combat du M23 contre les FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda), groupe armé majoritairement hutu fondé par d’anciens responsables du génocide au Rwanda, exilés en RDC. Ces derniers ont installé depuis des années un de leurs bastions à proximité immédiate du village.

Trois jours après le départ de Kishise du M23, qui s’est retiré ces dernières semaines de plusieurs de ses positions, une équipe de l’AFP a pu se rendre le 5 avril dans le village martyr et y interroger des témoins.

Ce 29 novembre, les M23 se lancent dans une chasse à l’homme. Ils fouillent les maisons et abattent tous les individus masculins qu’ils trouvent. Ni les forces de sécurité congolaises, ni les Casques bleus des Nations Unies ne sont intervenus.

« Ils ont commencé à tuer dans tous les sens », raconte Michel, les mains jointes, au bord d’une des fosses communes creusées dans une bananeraie, à deux pas de l’église où s’étaient réfugiées des dizaines de personnes. « Ils disaient que tous les hommes qui étaient ici devaient disparaître de la Terre ».

Ce cultivateur de 40 ans se souvient de la mise à mort de ses voisins. « Même le pasteur et son fils… ils les ont tués », s’émeut Michel, qui considérait le Père Jemusi comme son ami.

« Là-haut, il y a d’autres corps! », s’exclame un habitant.

Au sommet d’une colline, une position fortifiée du M23. Entre les tranchées creusées par les rebelles et leurs postes d’observation, des douilles jonchent le sol.

Cent mètres plus loin, deux fosses semblent fraîchement creusées, au milieu des plants de manioc. « Il y a quatre personnes enterrées ici », explique un agriculteur.

Un peu plus loin, en bord de chemin, un premier corps en décomposition, puis un deuxième, puis deux autres. « Ces deux-là sont des maïmaï, ils avaient des grigris », assure un habitant en se couvrant le nez.

Ces morts-là ne datent pas de novembre. Ils semblent avoir été tués il y a quelques semaines.

L’odeur de chair putréfiée est insoutenable, l’homme vomit. Un petit groupe de femmes et d’enfants passent à côté, sans regarder. Ils rentrent après une journée au champ.

Fabrice* assure avoir été témoin, « avec certitude », de la mort de 33 personnes, qu’avec d’autres rescapés il a été forcé par le M23 d’enterrer. Certains corps étaient ceux de leurs proches. Il parle aussi d’une maison, où « ils ont entassé des troncs d’arbres sur les personnes qu’ils avaient tuées. Ils ont versé de l’essence et ont mis le feu ».

L’ONU a évoqué au moins 171 morts. Un notable du village a de son côté répertorié du 22 au 29 novembre 120 morts, dont il a consigné les noms sur une liste de trois pages écrites à la main, qu’il extrait d’une cachette.

« Les maïmaï portaient des habits civils par-dessus des tenues militaires, c’est pour ça qu’ils ont (les M23) commencé à entrer dans chaque maison », poursuit cet homme, sous couvert d’anonymat. « S’ils trouvaient un garçon de 14 ans révolus ou un homme, ils les tuaient, même s’ils n’avaient pas d’arme. C’est comme ça que les gens ont été tués à Kishishe! »

Une autre liste a circulé dans le village, qui ne comportait que 18 noms de victimes. Un témoin raconte qu’elle a été rédigée en présence du M23, lors de la visite début décembre de trois personnes venues du Rwanda se présentant comme journalistes. Les conclusions de leur « enquête » ont ensuite été diffusées dans des médias proches du régime rwandais.

Des experts des Nations Unies, l’Union européenne et les Etats-Unis ont dénoncé le soutien de Kigali à la rébellion: approvisionnement en armes et munitions et présence de troupes rwandaises sur le sol congolais.

Autour d’une des écoles utilisées comme bases par le M23, une dizaine d’enfants jouent au milieu des débris de leurs salles de classe incendiées et des emballages d’obus de mortier. Les cours ont cessé le 22 novembre, date de la prise du village.

Depuis le départ des rebelles, la vie réinvestit les rues de Kishishe, mais les plaies sont béantes.

Ni l’armée congolaise, ni la force régionale est-africaine en cours de déploiement dans la région, ni les Casques bleus, ne sont venus assurer la sécurité des habitants meurtris ni occuper le vide laissé par le départ du M23, aujourd’hui stationné à une vingtaine de km au sud-est du village.

Abandonnés à eux-mêmes, les habitants de Kishishe tentent de reprendre le cours de leurs vies et de tromper la peur d’un possible retour du M23.

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