vendredi 26 avril 2024

Minerais stratégiques: les recommandations du CESE pour renforcer la souveraineté industrielle

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Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a récemment publié un avis concernant les minerais stratégiques et critiques, qui sont considérés comme des contributeurs essentiels à la souveraineté industrielle du Maroc. Le CESE formule plusieurs recommandations visant à améliorer la gouvernance et la performance du secteur minier, tout en mettant l’accent sur la durabilité et la responsabilité sociale et environnementale.

Afin d’améliorer la gouvernance et la performance du secteur minier, tout en mettant l’accent sur la durabilité et la responsabilité sociale et environnementale, le CESE a émis un ensemble de recommandations.

Amélioration du cadre stratégique et institutionnel

Parmi les six axes prioritaires proposés, le premier concerne l’amélioration du cadre stratégique et institutionnel régissant les activités liées aux minerais stratégiques et critiques. Il est recommandé de définir un modèle national pour l’exploitation et la valorisation responsable et durable des ressources minières, en impliquant l’État, les territoires, le secteur privé, les partenaires sociaux et la société civile. Ce modèle devrait être basé sur une gouvernance participative, transparente et convergente, et prendre en compte les intérêts des populations locales ainsi que les enjeux économiques, sociaux et environnementaux.

Le CESE recommande également d’analyser l’impact du pôle public chargé de l’exploration minière et de l’infrastructure géologique pour déterminer la meilleure architecture institutionnelle et d’initier une stratégie de reconnaissance minière de l’espace maritime national. Dans le domaine institutionnel, l’adoption des textes réglementaires requis pour l’opérationnalisation de la commission des minerais stratégiques et de la promulgation du nouveau statut du mineur est nécessaire.

La souveraineté industrielle doit être considérée comme un objectif stratégique pour le développement du Maroc. À cet effet, le CESE propose la mise en place d’une « Instance pour l’intégration Mines-Industrie » pour favoriser la coordination et les synergies entre les acteurs du secteur minier et industriel. Cette instance devrait avoir une composition multipartite et travailler en étroite collaboration avec la commission des minerais stratégiques et critiques.

Une feuille de route spécifique aux minerais stratégiques et critiques doit être adoptée, avec pour objectif de déterminer les minerais à valoriser localement et ceux pour lesquels il faudra instaurer des quotas d’exportation. Les partenariats relatifs aux minerais stratégiques et critiques devront privilégier la valorisation locale et le positionnement du Maroc dans les chaînes de valeur mondiales.

Le CESE souligne l’importance d’évaluer régulièrement et de manière détaillée la contribution du secteur minier à la création de richesses et leur répartition entre les différents acteurs socio-économiques. Pour ce faire, des indicateurs fins de l’activité par sous-branche doivent être élaborés afin d’avoir une répartition précise et désagrégée de la contribution du secteur à l’économie nationale et au développement local.

Dé-risquer le secteur minier au Maroc : une stratégie pour attirer les investisseurs

Le deuxième axe concerne le secteur minier, qui est un pilier important de l’économie marocaine, mais il reste confronté à des défis majeurs, notamment en matière de financement et d’attractivité pour les investisseurs. Dans cette optique, le gouvernement marocain a mis en place une stratégie visant à dé-risquer le secteur minier et à le rendre plus attractif pour les investisseurs.

La première mesure consiste à définir une stratégie de financement adaptée au caractère risqué des activités minières, notamment pour les sociétés juniors, en prévoyant un volet dédié au financement des entreprises exerçant dans le domaine des minerais stratégiques et critiques, à travers la levée de fonds au niveau de la bourse de Casablanca. Cette mesure permettra aux investisseurs de mieux faire valoir la qualité de leur produit et à diversifier leur portefeuille clients.

La deuxième mesure prévoit un mécanisme de promotion et de soutien public aux investisseurs industriels dans le domaine de la valorisation et la transformation des minerais stratégiques et critiques, en subventionnant les activités telles que les études de faisabilité, les travaux de conception technique, les essais pilotes ou encore la construction d’usines de démonstration. Cette mesure vise à encourager les investisseurs à mieux valoriser les minerais et à diversifier les produits issus de ces derniers.

La troisième mesure consiste à alléger les procédures administratives d’obtention des autorisations et permis miniers et à sensibiliser les institutions de tutelle et toutes les parties prenantes sur la nécessité d’accélérer les modalités d’attribution des permis. Cette mesure vise à réduire les délais d’obtention des autorisations et à faciliter les démarches administratives pour les investisseurs.

La quatrième mesure consiste à promouvoir, grâce à la digitalisation, l’accès et le partage de l’information pertinente pour les investisseurs dans le secteur. Cela passe notamment par le développement des infrastructures géologiques et en adaptant les méthodes aux contextes géologiques, ainsi que par la facilitation de l’accès aux données géologiques, cadastrales, réglementaires, fiscales et celles liées aux exigences sociales et environnementales en vigueur.

La cinquième mesure consiste à adapter la fiscalité du secteur afin d’en améliorer l’attractivité vis-à-vis des investisseurs. Cela passe notamment par l’institution d’une exonération temporaire de l’IS pendant cinq ans devant entrer en vigueur à partir de la première année de l’exploitation effective du gisement, la réintroduction de la provision pour la reconstitution de gisements miniers « PRG », la mise en place d’un crédit-impôt recherche en faveur des entreprises de l’écosystème des minerais stratégiques et critiques, ainsi que des matériaux innovants et l’exonération des travaux de recherche minière de la TVA.

Renforcer la productivité du secteur minier: l’axe 3 des recommandations

Le troisième axe s’articule autour de la recherche et développement (R&D), le capital humain et l’organisation des petites et moyennes entreprises (PME-TPE).

Prioriser la R&D dans les minerais stratégiques et critiques est une priorité. Pour cela, le gouvernement a prévu de créer de nouvelles offres d’innovation industrielle spécifiques aux minerais stratégiques et critiques. L’objectif est d’encourager l’optimisation d’utilisation des ressources minières en réduisant la part des métaux stratégiques et critiques dans les produits. Il est également question de créer un réseau de R&D pour une meilleure coordination entre le secteur minier et les universités et laboratoires de recherche.

Le CESE recommande également d’élaborer une stratégie de substitution des métaux stratégiques et critiques, grâce à des technologies de rupture faisant appel à la recherche scientifique académique et industrielle pour la conception de nouveaux matériaux. Des budgets de recherche seront alloués pour les instituts et écoles spécialisés dans les mines, ainsi que les universités disposant de savoir-faire nécessaire au développement des matériaux innovants.

La formation du capital humain est également une priorité pour le gouvernement. Des modules et des cursus de formation adaptés aux nouvelles mutations du secteur des minerais stratégiques et critiques et des industries en aval de la chaine de valeur seront créés. Des instituts techniques de formation professionnelle spécialisés dans les métiers liés aux minerais stratégiques et critiques seront également créés au niveau des régions minières.

Le CESE recommande d’encadrer les TPME et les juniors du secteur minier et promouvoir l’organisation des activités artisanales pour en faire une filière à part entière et performante. Les entreprises artisanales pourraient bénéficier d’un encadrement technique de la part d’un agrégateur pour garantir l’écoulement de leur production.

Sécuriser les chaines d’approvisionnement en minerais critiques

Le CESE recommande d’utiliser la liste exploratoire 1.0 relative aux minerais considérés comme stratégiques et ceux identifiés comme les plus critiques en raison du risque de rupture de l’approvisionnement. Cette liste doit servir à planifier des politiques pour un approvisionnement stable et durable dans le temps. Elle doit également orienter les programmes d’exploration et de développement du potentiel national pour atténuer la dépendance vis-à-vis des marchés extérieurs.

Diversifier les sources d’approvisionnement étrangères en minerais critiques est également recommandé afin de minimiser le risque de rupture. Il est conseillé de privilégier les fournisseurs les plus stables politiquement lorsque la distribution géographique du minerai le permet. Des incitations fiscales et des subventions pour la R&D dans le domaine du recyclage des métaux et de recherche de substituts aux minerais critiques les plus rares ou les plus chers sont également prévus.

Le CESE encourage également la mise en place de mesures d’appui spécifiques pour favoriser l’émergence d’une industrie de recyclage des métaux et déchets industriels. La constitution de stocks stratégiques pour les minerais les plus critiques est également recommandée pour la stabilité économique et sécuritaire du pays.

Enfin, le CESE préconise de multiplier les opérations de going-out en exploitant des gisements miniers à l’étranger, en particulier en Afrique, tout en respectant les normes sociales et environnementales en vigueur. La coopération Sud-Sud dans le domaine des échanges commerciaux et/ou des investissements dans le secteur minier est également encouragée, en s’inspirant de la stratégie du groupe OCP. Cette coopération pourrait tenir compte de la complémentarité entre le Maroc et les autres pays en termes de disponibilité des ressources minières et de leur nature.

Promouvoir une valorisation nationale des minerais stratégiques et critiques

Le CESE suggère d’orienter les investisseurs vers des projets de valorisation de ces minerais, conformes aux choix stratégiques du pays, via la mise en place d’une banque de projets industriels en aval. Cela permettrait au Maroc de renforcer son positionnement sur les maillons les plus dynamiques ou stratégiques des chaînes de valeur mondiales autour de ces minerais.

Le Fonds Mohammed VI pour l’Investissement devrait accorder un caractère prioritaire aux industries de valorisation en aval des minerais stratégiques et critiques. Ainsi, pour l’industrie de production des batteries au Maroc, une analyse des fondamentaux des marchés des batteries (maturité du marché européen, concentration de la production, compétitivité et économie d’échelle) devrait orienter la décision du Maroc quant à son positionnement sur ces chaînes de valeurs, avec notamment la mise en place de giga-factory.

Le CESE recommande également de réaliser un inventaire des produits miniers raffinés ou transformés importés, qui pourraient être produits ou recyclés à partir de minerais stratégiques existants au Maroc ou en valorisant des minerais critiques importés sous forme brute et à coûts compétitifs.

Il s’agit également de développer de nouveaux procédés de traitement de minerais, efficients en termes de consommation de ressources, performants et décarbonés, devrait être encouragé à travers les incitations et l’appui nécessaires. Ces procédés privilégieraient les industries peu consommatrices de minerais et le recours aux minerais disponibles sur le territoire national, notamment ceux les plus accessibles en termes de coûts.

Promouvoir le caractère inclusif et durable du secteur minier

Le CESE préconise également une gestion rationnelle des ressources hydriques dans le processus de développement minier. Les exploitations minières doivent être autonomes hydriquement en renforçant la circularité par le recours aux eaux non-conventionnelles. De plus, la consultation des populations concernées doit être considérée dans sa dimension la plus large tout au long du projet pour garantir l’acceptabilité sociale.

Afin de renforcer la représentativité de la population dans les négociations avec les entreprises minières, le CESE recommande de renforcer les capacités des associations opérant dans les régions minières. De plus, l’adhésion du Maroc à l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE) doit être promue.

Le CESE insiste sur la consolidation des actions de responsabilité des opérateurs miniers au Maroc. Pour cela, l’intégration explicite de l’obligation de respect des droits humains, des normes environnementales et de la prévention de la corruption doit être mise en place sur toute la chaîne de valeur du secteur minier. De plus, un mécanisme de recours visible, accessible et opérationnel doit être institué pour recueillir et traiter les réclamations des riverains et des communautés.

Il est également recommandé de mettre en place une consultation préalable et un dialogue régulier avec les administrations locales et les organisations indépendantes et représentatives de la société civile. Les opérateurs marocains à l’étranger doivent identifier et prévenir les risques dans les zones de conflits à hauts risques sociaux et environnementaux. Enfin, des formations de reconversion de métiers en faveur des populations locales dans les régions minières doivent être proposées après la fermeture des mines.

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