vendredi 26 avril 2024

La Nasa va déposer bientôt un radiotélescope sur la Lune pour étudier les âges sombres

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Pendant pas loin de 150 millions d’années après le Big Bang, aucune étoile n’illuminait le cosmos observable, c’était la période dite des âges sombres qui laissera progressivement la place à celle dite de la réionisation que l’on espère explorer avec le télescope James-Webb. Il est possible d’étudier les âges sombres malgré l’absence d’étoiles grâce à des radiotélescopes sur la face cachée de la Lune. La Nasa va tester le concept dans quelques années.

Environ 380 000 ans après le Big Bang, les atomes neutres n’existent pas encore et pas même de noyaux au-delà de ceux des isotopes de l’hydrogène, de l’hélium et du lithium. La température de la matière ordinaire est comparable à celle de la surface du Soleil et son état aussi, le quatrième de la matière, du plasma. Mais en quelques milliers d’années, du fait de l’expansion de l’Univers observable, les noyaux capturent des électrons et le plasma disparaît pour laisser la place à un gaz chaud de matière neutre. La plus vieille lumière du cosmos, le rayonnement fossile, est alors libre de voyager.

On estime que pendant les 150 premiers millions d’années environ qui vont succéder à cette émission, la matière s’effondre gravitationnellement mais ne forme pas encore vraiment d’étoiles de sorte que tout en se refroidissant avec son rayonnement, l’Univers devient sombre pour nos yeux – s’ils existaient à cette époque. Ce n’est qu’après ces « âges sombres » que les premières étoiles vont commencer à naître, briller et à se rassembler pour donner des galaxies. Les rayonnements produits à partir de ce moment-là vont réioniser la matière du cosmos. Les estimations varient cependant en ce qui concerne le début et la durée de cette réionisation mais, en général, on dit qu’elle s’est produite de quelques centaines de millions d’années après le Big Bang jusqu’à il y a 13 milliards d’années dans notre passé environ.

Mais, pendant les quelques centaines de millions d’années tout au plus qu’ont duré les âges sombres, bien des choses ont dû se produire que nous aimerions connaître. Ainsi, même si l’énergie noire ne dominait pas encore l’accélération de l’expansion de l’Univers, il est possible qu’elle ne se comportait pas alors comme une simple constante cosmologique, ou plutôt que ses éventuelles variations dans le temps aient encore été suffisamment fortes pour être facilement détectées. Si tel était le cas, ces variations pourraient être bavardes sur de la physique au-delà du modèle standard, comme de la supergravité ou la théorie des cordes.

Mais comment étudier une période où les étoiles n’existent pas vraiment encore ?

Un fond radio cosmologique diffus à 21 cm

Heureusement, il existe en théorie un autre fond de rayonnement diffus que celui du rayonnement fossile que l’on a étudié avec le télescope Planck et qui peut nous renseigner sur le comportement des concentrations de matière à cette époque en réponse au contenu en matière et énergie noire à ce moment-là. En effet, les atomes d’hydrogène devaient déjà émettre la fameuse raie à 21 cm que l’on a utilisée pour cartographier les nuages d’hydrogène et finalement la structure de notre Galaxie, révélant ses bras spiraux et sa barre.

Le problème est que ce fond diffus radio a été décalé vers de plus grandes longueurs d’onde par l’expansion de l’espace depuis la fin des âges sombres, et il se trouve maintenant dans une bande peu accessible à des radiotélescopes sur Terre en raison de l’existence de l’ionosphère de notre Planète bleue.

Mais les astrophysiciens sont tenaces et astucieux. Ils n’ont pas tardé à comprendre que tout comme le télescope James-Webb n’a plus de problème avec l’atmosphère de la Terre en étant dans l’espace pour étudier le rayonnement désormais dans l’infrarouge mais produit pendant la réionisation, un radiotélescope dans le vide lunaire ne serait plus piégé par une ionosphère.

En bonus, s’il était situé sur la face cachée de la Lune, il serait affranchi des contaminations dues aux télécommunications terrestres et selon certaines périodes de l’orbite de la Lune autour de la Terre combinée à l’orbite de la Terre autour du Soleil, il serait également affranchi du bruit de fond de l’activité de notre Étoile et de celui des émissions radio de Jupiter et Saturne.

Le concept est ancien et les ingénieurs jouent avec, au moins depuis l’ère Apollo. L’un de ces derniers avatars étudiés est le LCRT (Lunar Crater Radio Telescope) qui serait donc construit à l’intérieur d’un cratère situé sur la face cachée de la Lune. Il prendrait la forme d’une antenne parabolique d’un kilomètre de diamètre construite à l’intérieur d’un cratère de trois à cinq kilomètres.

LuSEE-Night, l’éclaireur des âges sombres

Clairement, ce n’est pas pour demain, mais la Nasa prend suffisamment l’idée au sérieux pour développer une petite antenne qui fera partie d’une mission à destination de la face cachée de la Lune dans quelques années seulement. Si tout va bien, elle constituera une preuve de concept en étant le premier radiotélescope déposé sur la Lune et en commençant à étudier la lumière fossile des âges sombres.

La mission envisagée par la Nasa et le Department of Energy (DOE) états-unien s’appelle Lunar Surface Electromagnetics Experiment – Night (LuSEE-Night) et elle fera intervenir un atterrisseur qui devrait se poser au niveau de l’antiméridien lunaire sur la face cachée de la Lune, à l’horizon 2025.

« LuSEE-Night est une expérience fascinante qui nous rapprochera de l’observation de quelque chose que nous n’avons jamais pu observer auparavant : le signal des âges sombres. Avec cette collaboration, le DOE et la Nasa créent les conditions d’une exploration réussie de la cosmologie de l’âge des ténèbres dans les décennies à venir », explique dans un communiqué Asmeret Asefaw Berhe, directeur du bureau des sciences du DOE.

« LuSEE-Night fonctionnera pendant les températures basses de la nuit lunaire de 14 jours, lorsque aucune lumière solaire n’est disponible pour générer de l’électricité ou de la chaleur. En plus du retour scientifique potentiel important, la démonstration de la technologie de survie nocturne lunaire LuSEE-Night est essentielle pour effectuer des recherches scientifiques à long terme et hautement prioritaires à partir de la surface lunaire », ajoute dans le même communiqué du DOE Joel Kearns, administrateur associé adjoint pour l’exploration à la direction des missions scientifiques de la Nasa.

En ce qui concerne l’étude du fond cosmique à 21 cm, le chercheur principal de la mission, coauteur d’un article sur arXiv à son sujet, Stuart D. Bale précise : « Cette mesure est très difficile, l’émission radio de la galaxie est très brillante et notre signal des âges sombres se cache derrière elle. Mais nous allons ouvrir une nouvelle fenêtre, une nouvelle bande de fréquence pour la cosmologie, nous allons ouvrir la voie à de nouvelles découvertes sur l’histoire de l’Univers et notre place en son sein. ».

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