vendredi 29 mars 2024

Interview avec Si Mbark, le gardien de l’ancienne école du Talmud Torah d’Essaouira

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A propos du Talmud Torah d’Essaouira

Comparée à d’autres sites du patrimoine juif, l’école du Talmud Torah d’Essaouira n’est pas très fréquentée. « Je pourrais dire qu’un groupe de touristes sur trois qui passe par le Mellah (quartier juif) la visite. Maintenant que son nom a changé, les visiteurs ont du mal à repérer sa localisation ». Si Mbark ne m’a pas surpris, car j’avais moi-même découvert ce lieu par hasard lors d’une conversation avec un habitant d’Essaouira.

Si Mbark est le gardien de l’ancienne école du Talmud Torah d’Essaouira, fondée en 1888. Lorsque l’école était active, le rez-de-chaussée abritait une crèche, alors que la cantine et les salles de classe se trouvaient au premier étage. L’école a fermé ses portes dans les années 1960 après que les Juifs qui y résidaient ont quitté le Maroc en masse, et l’espace a été transformé en refuge pour les dernières familles juives qui sont restées dans la ville. Si Mbark a gardé l’espace pendant près de 14 ans – depuis qu’il s’est transformé en Dar Al Hay (« maison de quartier » en français), comme on l’appelle actuellement. Dar Al Hay sert de siège et d’espace de réunion pour un certain nombre d’organisations locales de la société civile qui travaillent avec les enfants, les femmes et les jeunes, dans les domaines de l’éducation, de la santé, de l’art culinaire et d’autres secteurs sociaux. Dans le cadre du projet de réhabilitation de l’ancienne médina d’Essaouira, le bâtiment est actuellement en cours de restauration, mais le rez-de-chaussée reste ouvert aux visiteurs.

Si Mbark et la responsabilité sacrée

Si Mbark est originaire de la tribu d’ Ait Lahcen, du sud du Maroc. Son père et son grand-père étaient des nomades. Lors de leur voyage, un jour ils ont décidé de passer du temps près d’Essaouira. Lorsque son grand-père est décédé et qu’ils ont perdu leur bétail à cause de la sécheresse, le père de Mbark a décidé d’abandonner son mode de vie nomade et d’explorer les possibilités d’emploi à Essaouira. Il a essayé différents emplois, travaillant comme porteur (hamal), puis avec un homme juif qui s’appelait Lyahoo, qui lui a appris à coudre des matelas. L’homme juif a fait confiance au père de Mbark dès le début, le laissant gérer ses propriétés locatives et recommandant ses services à d’autres familles juives d’Essaouira.

Le dévouement et la loyauté du père de Mbark lui ont valu la confiance de la communauté juive, et dans le cadre de son travail, il aidait les familles juives à s’occuper de leurs propriétés, y compris l’école du Talmud Torah. Suite au départ de la communauté juive et à la fermeture de l’école, on a offert au père de Mbark la possibilité de s’installer à l’école gratuitement tout en assurant l’entretien du lieu. A cette époque, en plus de la famille de Mbark, trois familles juives vivaient dans le bâtiment. Elles sont restées à Essaouira jusqu’à leur décès et ont été enterrées dans le cimetière juif voisin, d’après les souvenirs de Si Mbark. Après avoir travaillé pendant près de 50 ans avec la communauté juive, le père de Si Mbark est également décédé, et il a hérité du poste de gardien de l’ancien Talmud Torah. Si Mbark, qui n’est pas marié, est le seul membre de sa famille qui réside encore dans le bâtiment et le garde jusqu’aujourd’hui. Ses frères et sœurs ont choisi de déménager il y a longtemps.

La maison : Un lieu de mémoire

« J’ai vécu ici toute ma vie. Tous mes souvenirs d’enfance sont dans cet endroit, alors je ne pouvais pas partir », a déclaré Si Mbark, souriant lorsqu’on lui a demandé la raison pour laquelle il avait décidé de rester et de s’occuper du bâtiment. « C’est l’endroit où je me sens le plus en paix et le plus à l’aise. C’est ma maison. C’est là que tout a commencé. Je ne veux vivre nulle part ailleurs. De plus, le fait que j’ai hérité ce travail de mon père me rend plus responsable, et je veux exprimer ma gratitude à la communauté juive, aux amis et aux voisins, qui nous ont été d’une grande aide. »

La visite du premier étage et la conversation avec Si Mbark sur ses souvenirs avec ses voisins juifs avec qui il partageait autrefois cet espace ont provoqué chez lui un fort sentiment de nostalgie. « Je me souviens que la dernière personne juive qui vivait dans l’école est décédée en 1999. Nos voisins et amis juifs étaient gentils et généreux. Le fait d’appartenir à des religions et des cultures différentes ne nous divisait pas. Quelles que soient nos différences, nous étions tout simplement des amis qui respectent les uns les autres. Je me souviens qu’ils ne mangeaient pas en public pendant le ramadan, par respect pour les musulmans, et de même pour nous le jour du Shabbat. Nous essayions de les aider et de leur fournir ce dont ils avaient besoin ce jour-là. Nous célébrions nos fêtes ensemble, nous passions du temps ensemble,  et nous échangions des plats préparés pour des occasions spéciales. D’ailleurs, dans la cantine de l’ancienne école juive, on réservait un jour uniquement pour les musulmans. »

Si Mbark a eu la chance de rencontrer de nombreux visiteurs qui sont venus chercher spécifiquement l’école parce qu’ils y ont étudié. Dans ces cas-là, ils se sentaient souvent très émus en partageant leurs souvenirs avec lui. En parlant avec lui, Si Mbark a décrit les difficultés que les visiteurs rencontrent pour localiser l’école. « L’endroit est dépourvu de panneaux qui le désignent comme l’ancien Talmud Torah. Maintenant que le nom a changé, les gens n’y font pas attention, ou ils pensent qu’il a été démoli pendant le projet de rénovation du Mellah. Ce serait bien que le panneau soit écrit en hébreu, en arabe et en français. »

La nécessité de célébrer l’histoire de ces lieux découle du rôle qu’ils jouent en tant que dépositaires de la mémoire, qui reflètent la pluralité historique de communautés dont les divers habitants ont vécu en harmonie pendant des générations. Dans le cas de l’ancienne école du Talmud Torah, Si Mbark propose d’organiser une exposition des anciennes Torahs, des livres et des archives de la bibliothèque qui étaient utilisés lorsque l’école fonctionnait.

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Cet article fait partie d’une série d’entretiens qui célèbrent la semaine de l’harmonie interconfessionnelle (1-7 février 2023) et ont été facilités par le programme Dakira de l’USAID, qui est mis en œuvre par la Fondation du Haut Atlas et ses partenaires et vise à renforcer la solidarité interreligieuse et interethnique à travers des efforts communautaires qui préservent le patrimoine culturel au Maroc.

Cet article a été réalisé avec le soutien de l’Agence américaine pour le développement international (USAID). La Fondation du Haut Atlas est seule responsable de son contenu, qui ne reflète pas nécessairement les opinions de l’USAID ou du gouvernement des États-Unis.

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