jeudi 25 avril 2024

Driss Benali: Le flambeau du désespoir

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Driss Benali

  Le flambeau est généralement utilisé comme symbole d’enthousiasme et de volonté pour exprimer le dynamisme des choses chez l’humain, individus ou populations entières, ainsi que pour exprimer une sorte de résurrection des anciens. Mais au Maroc, le flambeau est devenu aujourd’hui le symbole du désespoir auprès de ceux qui constituent notre plus grande richesse, les jeunes. Ainsi donc, les actes commis par le jeune chômeur Abdelwahab Zaïdoune et le militaire retraité Abderrahim Bougrine sont l’expression des symptômes de ce drame vécu par une partie de la population qui a cru, à tort, que le système éducatif de ce pays était à même de la mener vers une vie décente et vers une bonne intégration dans la société.

 

 

  Ces jeunes, tous ces jeunes, sont devenus les victimes d’une classe politique incompétente, les victimes expiatoires et humiliées par une politique qui les a condamnés à la marginalisation et à l’exclusion et les a laissés se débattre dans une forme d’anarchie dont ils n’arrivent pas à se défaire. Le Conseil économique et social a bien reconnu cela dans son rapport sur l’emploi: « Les jeunes sont la catégorie de population qui pâtit le plus du chômage, en dépit de la baisse d’activité. Les emplois occupés par les jeunes sont généralement fragiles et donnent lieu à des rémunérations faibles; ces emplois font rarement l’objet de contrats et assurent encore plus rarement une couverture sociale. Le chômage chez les jeunes est plus élevé en milieu urbain et augmente en fonction du niveau de scolarité atteint; ce chômage est de longue durée, indiquant la non-conformité de l’enseignement avec les besoins du marché. Aussi, le pessimisme chez les

 

  jeunes à l’égard de leur état est encore plus marqué que ce qu’indiquent les statistiques en la matière ». Aveu explicite de la situation vécue par les jeunes, même si le terme « désespoir » n’est pas clairement employé.
 

 

  Les données statistiques disponibles établissent la dangerosité de la situation de l’emploi aujourd’hui. Plus d’un million de personnes ont connu le goût amer du chômage en 2010, et 80% parmi eux sont âgés de 15 à 34 ans et c’est cette même tranche d’âge qui représente 37% de la population globale, soit 11,7 millions de personnes. Dans cette tranche d’âge, seules 5,6 millions de personnes disposent d’un emploi, soit 48%, moins que la moyenne nationale.
 

 

  Par ailleurs, 36,2% des Marocains âgés de 15 à 24 ans travaillent, pourcentage qui baisse jusqu’à 27,1% en milieu urbain, alors qu’il était de 48% en 1999.
 

 

  Selon les chiffres de 2010, le chômage urbain est encore fort, avec un chômage des jeunes qui dépasse de 3% la moyenne nationale, sachant que 77,2% des jeunes vivent en milieu urbain. Et quand ils arrivent à obtenir du travail, ces jeunes doivent affronter nombre de problèmes, comme la fragilité de leurs emplois, la faiblesse des salaires et l’absence de contrats et de protection sociale.
 

 

  Trois indicateurs montrent l’instabilité du marché de l’emploi au Maroc :
 
– 40% des jeunes travaillent sans salaires, au sein de leurs familles ;
– Moins de 10% des jeunes bénéficient d’une couverture médicale ;
– Plus de 8 Marocains sur 10 et la moitié de titulaires de hauts diplômes travaillent hors contrats.  Le chômage déguisé est également un sérieux problème, puisque ce sont 17,3% des jeunes qui se trouvent dans ce cas, alors que la moyenne nationale des plus de 15 ans est de 11,6%.
 

 

  Le chômage des titulaires de hauts diplômes est encore très fort, bien qu’un recul ait été enregistré depuis 1999, où les chiffres de ce chômage étaient de 27,1% alors qu’aujourd’hui, la part des hauts diplômés chômeurs est « seulement » de 18,1%. Cette inactivité des jeunes diplômés peut s’expliquer par plusieurs raisons, dont la très importante baisse des opportunités d’emploi mais aussi – et surtout – l’incompatibilité de la formation et de la nature de l’enseignement avec les besoins du marché du travail et de l’économie.
 

 

  Ainsi, les jeunes se trouvent dans la position d’entreprendre des actions désespérées et incertaines pour pouvoir aspirer un jour à obtenir du travail, comme le montre leur préférence à voir les flammes les brûler rapidement et brutalement plutôt que de se laisser consumer, lentement, par le feu doux de l’incertitude et de la marginalisation.
 

 

  Les jeunes sont ainsi perçus comme une sorte de tare, d’ouragan violent, et c’est d’autant plus regrettable que l’on est à plus d’un demi-siècle de notre indépendance, au point que ceux qui ont lutté pour cette indépendance doivent aujourd’hui se retourner dans leurs tombes…
 

 

  Les deux immolations par le feu doivent interpeller tous ceux et toutes celles qui se préoccupent de l’avenir de ce pays, qui y croient, et qui refusent de voir le désespoir gagner du terrain. Et à propos, les Tunisiens nous ont administré une leçon magistrale en nous montrant qu’un peuple ne saurait tolérer que ses jeunes perdent tellement l’espoir en l’avenir qu’ils puissent en arriver à se suicider. Et rien n’est plus grave, pour une société, que le désespoir de sa jeunesse, car quand la flamme de l’espoir s’éteint, quand la confiance vient à manquer, c’est le commencement de la fin de ladite société.

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