vendredi 19 avril 2024

Espagne gangrenée par un chômage grimpant

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Roland LLOYD PARRY

  Dans les cantines populaires, aux portes des agences pour l’emploi, ils sont chaque jour plus nombreux, jeunes, fonctionnaires, salariés de la classe moyenne, visages multiples d’une Espagne gangrenée par un chômage qui n’en finit pas de grimper.

 

  Le couperet vient de tomber: ils sont désormais plus de cinq millions de chômeurs, presque 23% de la population, plus d’un jeune sur deux et plus d’un million et demi de foyers dont aucun des membres ne travaille.

 

  Plus personne ou presque n’est à l’abri, surtout pas ces millions d’Espagnols qui avaient vu leur niveau de vie décoller dans les années 1990 et 2000, en plein miracle économique.

 

  « Le niveau de vie a beaucoup baissé pour tout le monde, sauf pour les très riches », remarque Antonio, un homme de 58 ans qui sort en fumant, tremblant de froid, de la cantine tenue par les religieuses des Filles de la Charité de Saint-Vincent de Paul, dans le centre de Madrid.

 

  Salarié pendant 37 ans, jamais il ne se serait imaginé de l’autre côté de la barrière.

  « Cette cantine existe depuis que je suis enfant. Avant je la voyais, mais de l’autre côté. Il ne m’était jamais venu à l’idée que je pourrais avoir à y aller », confie ce chômeur qui refuse de donner son nom de famille.

 

  Il y a trois ans, Antonio a perdu son travail d’employé dans un hôpital. Aujourd’hui la plus grande partie de ses maigres revenus sont engloutis dans son loyer. Pour manger, il ne lui reste plus que cette cantine.

 

  « Je vivais plutôt bien. Mais aujourd’hui, l’expérience n’y fait rien, je ne trouve pas de travail. Nous sommes dans la misère ». « Le chômage a détruit même ceux qui avaient un niveau de vie moyen ».

 

  Dans la cour, des dizaines de personnes attendent que sonne la cloche annonciatrice du repas. Tomas Rodriguez, 32 ans, chômeur depuis deux ans, est un habitué.

 

  « Je viens tous les jours. Ils servent de tout, des pâtes, des haricots. Ils donnent des vêtements ». Lui aussi a grandi à Madrid, avant de trouver un travail dans un supermarché.

 

  Tous les matins, il quitte son foyer pour sans-abri dans la banlieue et fait une heure de bus pour arriver jusqu’à la cantine.

 

  L’après-midi, il parcourt les services administratifs, remplit des formulaires, puis rentre dans son foyer, sans espoir.

 

  « J’ai envoyé des lettres partout. Il n’y a pas de travail », confie-t-il. « Mes parents sont à la retraite, ils me disent que je ne peux retourner chez eux que si je participe aux frais ». Car le chômage, à mesure qu’il progresse, ébranle durement la solidarité familiale, un moteur traditionnel de la société espagnole qui jusqu’à présent jouait comme garde-fou.

 

  En quelques minutes ce vendredi matin, la longue file d’attente se forme aux portes de l’agence pour l’emploi de Vallecas, un triste quartier ouvrier du sud de Madrid.

 

  Parmi eux des immigrés, une population très durement frappée par la fin du miracle de la construction depuis 2008. Beaucoup ont regagné leur pays. Ceux qui restent n’ont devant eux qu’un horizon bouché.

 

  « Je viens de perdre mon travail. C’est la deuxième fois », témoigne Daniel Gazdoiu, un Roumain de 44 ans qui a travaillé pendant six ans comme chauffeur dans le bâtiment.

 

  « Tout va mal. Je vais voir si je trouve un autre travail, ailleurs ou à l’étranger ».

 

  Il y a aussi cette Espagnole de 40 ans, Isabel Ruiz, travailleuse sociale intérimaire pour le gouvernement régional.

 

  Depuis la mi-janvier, elle est sans travail, avec son bébé de 15 mois.

 

 

  « Les autorités locales réduisent les budgets plus que jamais. Auparavant, l’agence d’intérim ne cessait de m’appeler. Maintenant vous pouvez passer six mois sans appel ».

 

  Dans toute l’Espagne, les coupes budgétaires très sévères décidées ces derniers mois par les régions commencent à peser. Un avant goût de la rigueur annoncée par le nouveau gouvernement conservateur.

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