jeudi 2 mai 2024

Jeûne mortel au Kenya: les familles des victimes du «massacre de Shakahola» toujours sans réponse après un an

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Un an après la révélation du «massacre de Shakahola», des centaines de familles restent hantées par de nombreuses questions sans réponse sur la mort de 429 adeptes d’une secte évangélique dans une forêt du sud-est du Kenya.

Quand Francis Wanje a eu écho en décembre 2022 par un ancien membre de l’Église internationale de Bonne Nouvelle des pratiques de jeûne extrême dans la forêt de Shakahola, il a craint le pire.

Cet instituteur a tenté à plusieurs reprises de se rendre dans cette vaste zone de «bush» de la côte kényane, où il savait que l’une de ses filles et sa famille – huit personnes au total – avaient rejoint la secte du pasteur autoproclamé Paul Nthenge Mackenzie.

Bloqué par des adeptes hostiles, il a alerté la police qui découvrira le 13 avril 15 personnes en état de sous-nutrition, levant le voile sur un scandale qui a horrifié ce pays religieux, majoritairement chrétien, d’Afrique de l’Est.

Parmi ces 15 personnes se trouvait l’aîné de ses petit-fils, squelettique et proche de la mort.

Dans les mois suivants, 429 corps seront exhumés dans cette forêt où Paul Nthenge Mackenzie exhortait ses fidèles à jeûner jusqu’à la mort pour «rencontrer Jésus» avant la fin du monde prévue en août 2023. Ces décès se sont étalés sur plusieurs années.

Les autopsies ont révélé que la majorité des victimes sont mortes de faim, mais certaines ont été étranglées, battues ou étouffées.

Selon Francis Wanje, deux de ses petit-fils ont été étouffés.

«Ça a été un parcours très compliqué. Très compliqué», explique cet homme de 59 ans, en évoquant l’année écoulée.

Il a connu un mince soulagement en récupérant le mois dernier les corps de quatre proches, dont ceux de sa fille et d’un petit-fils.

   «Abandonnés»

Comme lui, des centaines de familles ont convergé vers la ville de Malindi pour savoir si leurs proches dont ils ont perdu la trace ou qu’ils savaient membre de la secte figurent parmi les victimes.

Elles attendent, désemparées, l’identification des corps.

Jusqu’à présent, seuls 34 des 429 corps ont été identifiés via les tests ADN, faute de matériel.

«Nous sommes toujours dans le flou», peste Mapenzi Kombe, 31 ans, dont la sœur a disparu après avoir rejoint la secte. «Notre mère pleure tous les jours et ses larmes ne s’arrêtent pas», affirme-t-il, montrant une femme âgée assise un peu plus loin, les yeux dans le vide.

«Nous sommes dévastés par la lenteur du processus ADN», confie Roseline Asena, pour qui la situation est «honteuse».

Son frère et sa belle-sœur sont en détention pour avoir aidé Mackenzie à affamer des adeptes, dont leurs cinq enfants, le plus jeune âgé d’à peine d’un an.

Le couple «a refusé de dire où se trouvent les enfants» et, avec les recherches suspendues depuis plusieurs mois, elle perd chaque jour un peu plus l’espoir de «les retrouver vivants».

Elle dit également n’avoir eu aucun contact avec des officiels depuis mai 2023, quand on lui a promis que le processus d’identification ne prendrait pas plus de deux mois.

«Pas de visite, pas de soutien psychologique . Le gouvernement nous a complètement abandonnés à notre sort», lâche-t-elle.

La présidente de la Commission nationale des droits de l’homme du Kenya (KNCHR) – organe officiel mais indépendant – demande elle aussi un soutien aux familles, comme aux policiers qui ont été confrontés à l’horreur.

«Les gens ont besoin de faire le deuil de cette affaire», souligne Roseline Odede.

   «Accusations infondées»

Si le pasteur Mackenzie est sous les verrous et attend un procès notamment pour «terrorisme», «assassinat» de 191 enfants (dont trois nourrissons) ou encore «torture» et «cruauté» sur enfants, Francis Wanje n’arrive pas à trouver la paix.

«Ces meurtres insensés auraient pu être évités si tout le monde (avait) agi immédiatement», lance-t-il.

Un rapport d’une commission sénatoriale a pointé les «défaillances» des police et justice locales qui n’ont pas empêché les agissements du pasteur, pourtant arrêté à plusieurs reprises pour ses prêches extrêmes.

La KNHCR a également affirmé dans un rapport en mars que la police avait ignoré plusieurs avertissements concernant la secte, notamment ceux d’une ancienne adepte qui avait publié des appels à l’aide sur Facebook en novembre 2022.

«Au lieu d’enquêter sur la véracité des problèmes soulevés, la dame a été intimidée après avoir été accusée de porter des accusations infondées», déplore la KNCHR, soulignant que la police avait en revanche accepté une plainte du pasteur Mackenzie concernant ces messages qu’il disait mensongers.

Les seules mesures prises depuis la révélation du scandale ont été la mutation de responsables des services de sécurité.

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