Quand la glace fond, elle libère des microbes du passé. Certains de ces microbes, « voyageurs du temps », sont capables de survivre et même de s’épanouir dans notre environnement. Avec des effets qui restent imprévisibles. Et c’est ce qui inquiète le plus les chercheurs.
Plusieurs études ont déjà porté sur le sujet. Des microbes piégés depuis longtemps dans les glaces pourraient être libérés à la faveur du réchauffement climatique et de la fonte, notamment, des glaciers et du pergélisol. Et pour évaluer les risques réels, une équipe du laboratoire de recherche scientifique et technique de l’Union européenne, le Centre commun de recherche (CCR), vient de mener quelques simulations informatiques.
Les microbes libérés des glaces sont-ils à craindre ?
Les chercheurs ont imaginé des scénarios dans lesquels des agents pathogènes, comme des sortes de virus numériques, surgissent du passé pour envahir des communautés bactériennes virtuelles, mais qui ressemblent à celle que l’on en trouve de nos jours dans la nature. Et ils ont laissé leurs expériences d’évolution artificielle montrer les effets de ces attaques sur la diversité des bactéries. En fonction de variables modifiées à leur guise. Le tout, sans avoir à manipuler de vrais agents pathogènes.
Les simulations informatiques menées par les chercheurs montrent d’abord que les microbes du passé sont capables de survivre et de se développer dans les communautés bactériennes modernes. À tel point que 3 % de ces agents pathogènes sont même devenus dominants. La plupart, toutefois, sans avoir d’effet que les bactéries. Mais 1 % des microbes, tout de même, a provoqué des effets imprévisibles. Certains ont fait disparaître le tiers des communautés de bactéries. D’autres ont fait augmenter leur diversité de plus de 10 %. Sans que les chercheurs ne comprennent pour quelle raison.
Un faible pourcentage de microbes dangereux dans les glaces, mais un nombre non négligeable
1 %… Le chiffre peut sembler faible, niveau risque. Cependant, combiné à la quantité colossale d’agents pathogènes anciens que le réchauffement climatique menace de libérer, il constitue un réel danger. Et encore plus compte tenu de l’imprévisibilité — à ce stade au moins — du phénomène… Non seulement pour la santé humaine, on l’imagine assez bien. Mais aussi pour l’environnement en lui-même. Car la réintroduction d’un microbe dans un environnement stable depuis des milliers d’années pourrait bien, par des effets de cascade non prévisibles, aller jusqu’à effondrer des écosystèmes tout entiers.
La fonte rapide des glaciers libère des bactéries dans les écosystèmes qui inquiètent les scientifiques
Les glaciers qui fondent rapidement en raison du réchauffement climatique libèrent d’innombrables bactéries dans les rivières. En plus de présenter un danger pour la santé des humains et des animaux, ces bactéries peuvent transformer tout un écosystème.
Au cours des 80 prochaines années, la hausse des températures va libérer des centaines de milliers de tonnes de bactéries dans les environnements aquatiques présents autour des glaciers. Une étude publiée dans Communications Earth & Environment présente les conclusions de chercheurs ayant étudié 10 sites glaciaires répartis dans l’hémisphère nord : les Alpes, le Groenland, le Svalbard, l’arctique canadien. Comme le précise l’un des auteurs de l’étude, Arwyn Edwards, de l’Université Aberystwyth, « les glaciers ne sont pas que des grandes masses d’eau congelée, ce sont également des écosystèmes tout entiers ». Qui dit écosystème, dit présence de vie, et celle-ci est essentiellement représentée sous forme de micro-organismes dans les glaciers. Mais bien plus encore, car en fondant, l’eau des glaciers emporte avec elle des minéraux, gaz, sédiments et de la matière organique issue des montagnes. Cette matière organique était jusqu’à maintenant piégée sous la glace depuis des milliers, voire des millions d’années.
Les bactéries issues des glaciers sont capables de transformer la biodiversité
L’une des principales inquiétudes des chercheurs, c’est que la fonte des glaces est actuellement tellement rapide qu’ils n’ont pas assez de temps pour analyser tous les différents types de bactéries qui sont libérées à grande vitesse ! Plusieurs dizaines de milliers de microbes par millimètre d’eau sont ainsi déversés en continu. Les microbes présents dans l’eau glaciaire peuvent également fertiliser les écosystèmes et modifier les environnements, étant donné qu’ils sont à la base de la vie, ils peuvent influencer le développement de certains autres micro-organismes, en permettant d’en favoriser certains et avec pour autre conséquence d’en faire disparaître d’autres. À plus long terme, c’est la biodiversité des cours d’eau et lacs qui pourrait donc être complètement modifiée : certaines espèces animales et végétales disparaîtront alors que d’autres émergeront ou proliféreront. Et au bout de la chaîne alimentaire, se trouve l’espèce humaine, totalement dépendante des cours d’eau.
Aggravation du réchauffement climatique et de nouvelles perspectives pour la science
Une autre conséquence étonnante résulte de la fonte des glaciers : les bactéries et les algues présentes dans les environnements glacés contiennent généralement des pigments pour se protéger des rayons nocifs du soleil. Mais ces pigments, en absorbant l’énergie solaire, pourraient encore plus contribuer au réchauffement climatique qui accélère déjà la fonte des glaces. En plus de cette matière vivante, l’équivalent de 650 000 tonnes de carbone, le principal gaz à effet de serre, est relâché chaque année dans les rivières, lacs, fjords et océans de l’hémisphère nord.
Cependant, les chercheurs précisent que ce nouvel arrivage de bactéries et microbes n’est pas uniquement négatif et ouvre aussi de nouvelles perspectives à la science : il n’est pas impossible que certaines d’entre elles puissent permettre des avancées médicales, et notamment la création de nouveaux antibiotiques, par exemple.