mercredi 24 avril 2024

La Saoudienne Rayyanah Barnawi dans l’espace, symbole d’une génération plus émancipée

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L’Arabie saoudite a prévu d’envoyer dans l’espace, le 21 mai, la première femme astronaute saoudienne. Rayyanah Barnawi doit rejoindre la Station spatiale internationale à bord d’un vol privé de SpaceX. Une tentative pour la monarchie de se débarrasser de son image conservatrice, mais cela traduit aussi l’avènement d’une nouvelle génération de Saoudiennes surdiplômées et prêtes à occuper des postes hautement qualifiés dans la société.

L’Arabie saoudite s’apprête à envoyer une femme dans l’espace. Une première pour le royaume qui, il y a six ans encore, interdisait aux Saoudiennes de conduire une voiture.  

À 33 ans, Rayyanah Barnawi est le symbole de cette émancipation éclair des femmes en Arabie saoudite. Une place lui est réservée, dimanche 21 mai, dans la fusée de SpaceX devant acheminer quatre astronautes, dont deux de nationalité saoudienne, dans la Station spatiale internationale (ISS) depuis Cap Canaveral, aux États-Unis.

Cette mission privée, d’une durée de dix jours, est organisée par Axiom Space. Il s’agit du deuxième voyage vers l’ISS planifié par cette entreprise américaine. Une première, Ax-1, avait emmené trois hommes d’affaires et un ancien astronaute passer deux semaines à bord de l’ISS en avril 2022. 

Rayyanah Barnawi sera accompagnée par Ali al-Qarni, un pilote de chasse saoudien, Peggy Whitson, une ancienne astronaute de la Nasa qui s’est déjà rendue trois fois dans l’ISS, et John Shoffner, entrepreneur américain, qui sera le pilote.   

Une nouvelle génération de Saoudiennes

L’objectif de cette courte mission, dont la très expérimentée Peggy Whitson occupe la direction, est de conduire des recherches scientifiques, ce pour quoi Rayyanah Barnawi a été choisie. Diplômée en sciences biomédicales à l’université d’Otago de Nouvelle-Zélande et à l’université Alfaisal de Riyad, l’astronaute saoudienne dispose de plus de neuf ans d’expérience dans la recherche sur les cellules souches cancéreuses.

« Rayyanah Barnawi est le symbole de cette génération de Saoudiennes formées à l’étranger ces dix dernières années, parfois dans de très prestigieuses universités, qui reviennent à Riyad et sont propulsées à des postes à haute responsabilité », souligne Arnaud Lacheret, auteur de « La femme est l’avenir du Golfe. Ce que la modernité arabe dit de nous » (éd. Le Bord de l’eau).

Professeur à Skema Business School et à la tête d’un MBA à Dubaï il y a quelques années, Arnaud Lacheret a vu arriver dans ses cours des Saoudiennes trentenaires issues des classes moyennes, venues se former sur le tard après l’ouverture du marché de l’emploi aux femmes en Arabie saoudite. Jusqu’en 2012, les Saoudiennes n’étaient autorisées qu’à exercer des métiers à l’abri des regards, notamment dans des bureaux ou dans les commerces.

Depuis, tout s’est accéléré et la part des femmes dans la population active a atteint les 37 % en 2022, une hausse concernant l’ensemble des secteurs, y compris celui de la défense et de la sécurité. « Il y a une dizaine d’années, certaines filières, scientifiques notamment, n’existaient pas pour ces femmes. Le seul moyen pour elles de faire des études spécialisées dans l’ingénierie ou la technologie était de partir à l’étranger. Les filles des familles les plus fortunées sont allées jusqu’en Europe et aux États-Unis et reviennent plus diplômées que leurs pairs masculins », souligne le chercheur à propos de cette génération de femmes trentenaires et surdiplômées. « Les hommes de cette génération, eux, sont restés en Arabie saoudite où ils n’avaient pas besoin de faire de hautes études pour accéder au marché du travail ».

Plan de communication politique

De retour au pays, ces Saoudiennes bénéficient aujourd’hui de mesures incitatives s’inscrivant dans une vaste stratégie de modernisation pour ouvrir le royaume et diversifier son économie. Le voyage dans l’espace de Rayyanah Barnawi s’inscrit ainsi lui aussi dans le cadre du plan « Vision 2030 », large programme de réformes économiques et sociales initié par le puissant prince héritier Mohammed ben Salmane.

Dans le cadre de son programme de vols habités, le pays forme également deux autres astronautes, dont une femme, Mariam Fardous.

Mais ce n’est pas la première expédition du genre pour ce riche État pétrolier. En 1985, le prince saoudien Sultan ben Salmane avait participé à une mission américaine Discovery de la Nasa. 

Pour le prince héritier Mohammed ben Salmane, critiqué pour la sévère répression de ses opposants, notamment des militantes féministes, il s’agit surtout de redorer son image. 

« Les femmes sont vraiment mises en avant dans le monde du travail, mais le projet est aussi clairement alimenté par la communication politique », relève Arnaud Lacheret. Une réalité qui ne fait pas oublier les inégalités persistantes entre hommes et femmes. « Il y a toujours des privilèges masculins et un homme réussira plus facilement dans le monde du travail, même avec moins de diplômes ».

Sans compter le système de tutelle masculine. Très largement assoupli, mais toujours en place dans le pays, il est toujours vecteur de discriminations pour les femmes, comme l’a encore récemment souligné Amnesty International dans un rapport publié en mars. Un constat partagé par la militante des droits humains Lina al-Hathloul. « Les femmes sont considérées comme des mineures jusqu’à la fin de leur vie », rappelait-elle dans les colonnes de Vanity Fair en janvier. « Évidemment, maintenant, elles peuvent conduire ou étudier mais ça ne veut pas dire que la base de ce système est détruite (…) Honnêtement, on peut espérer beaucoup tant que l’on se tait. Les femmes peuvent être pilotes ou astronautes, tant qu’elles continuent à être soumises. Il suffit de tomber sur la bonne famille qui les autorise à faire des choses. C’est vraiment la loterie. »

Sa sœur, la militante féministe Loujain al-Hathloul, a été enfermée pendant plus de 1 000 jours dans une prison saoudienne avant d’être libérée en 2021 et dit avoir été victime de harcèlement sexuel et de torture. Elle reste sous le joug d’une interdiction de quitter le pays.  

Plus récemment, en janvier, Salma al-Shehab, étudiante en doctorat et mère de deux enfants, a été condamnée en appel à 27 ans de prison pour avoir retweeté des messages de dissidents, dont des tweets de Loujain al-Hathloul demandant la libération de sa sœur.  

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