Or, c’est à peu près ce que l’on fait : rien ! On poursuit tranquillement les pratiques agricoles les plus agressives (insecticides, fongicides, herbicides, etc.) qui rendent la vie de plus en plus problématique, à la fois aux insectes réputés « nuisibles » qu’aux « auxiliaires de culture ». En particulier aux pollinisateurs, qui nous sont pourtant indispensables pour notre simple survie.
Indépendamment des insecticides, l’agriculture « moderne » rend souvent la vie impossible à la faune d’origine : le labour éradique les animaux terrestres, tandis que la déforestation, la disparition des haies et l’assèchement des zones humides rendent impossible la survie et la reproduction des insectes volants. Et la pollution lumineuse termine le job chaque nuit !
Et le réchauffement climatique va encore accélérer le processus. On constate que les insectes disparaissent, non seulement dans les zones d’agriculture intensive, mais aussi dans les forêts, où on ne peut pas incriminer les agriculteurs. Ils y meurent aussi, ou n’arrivent plus à se reproduire, parce qu’il y fait trop chaud ou trop sec pour eux, habitués qu’ils sont à l’ombre et l’humidité protectrices.
Déjà, comment mettre en œuvre des pratiques écologiques dans les champs, quand on sait que tous les insectes auxiliaires de culture, en particulier ceux qui se nourrissent des insectes phytophages, qui eux-mêmes mangent des plantes, ont besoin des haies à au moins une période de leur cycle de vie ? En tous les cas, il faudrait commencer par arrêter de déforester, et surtout replanter des arbres partout, 1 000 milliards d’arbres dans le monde.
Notons qu’il est difficile d’attribuer une cause unique, et même de déterminer la cause principale du déclin, car souvent on est influencé par les modes ou les inquiétudes en vigueur dans son pays ou sa culture. Et l’administration d’une preuve irréfutable est en général impossible.
Le plus probable est donc que cet engrenage funeste va se poursuivre. Avec une baisse moyenne estimée à -2 % par an, on risque carrément une disparition pure et simple des insectes au cours de ce XXIe siècle, aux conséquences carrément désastreuses. Ce sera nettement pire de ne plus avoir d’insectes du tout que de supporter les dégâts des insectes prédateurs.
D’où le débat, très important, entre les tenants du « land sparing » et du « land sharing ». Vaut-il mieux faire de l’agriculture très intensive, pour y consacrer un minimum de terres, et protéger le plus possible de terres plus « naturelles », où on pourra préserver au maximum la biodiversité, ou généraliser l’agriculture moins intensive (en particulier la bio), à moindre rendement, ce qui laissera beaucoup moins de surfaces naturelles .
Il y a nettement plus d’insectes dans les champs de blé bio, mais il faut cultiver deux fois plus de champs pour produire la même quantité de blé… et nous sommes 8 milliards d’humains à nourrir sur la Planète. Or, même si les Occidentaux baissent fortement leur consommation de viande et que l’on gâche moins, il faudra impérativement continuer à augmenter la production agricole mondiale.
À quoi servent les insectes, peut-on vivre sans eux ?
Quand on est (légitimement) énervé par les moustiques et les puces dans sa chambre à coucher, les punaises et les blattes dans sa cuisine, les pucerons (ou les fourmis qui les élèvent), doryphores, araignées, teignes ou piérides dans son jardin potager, on peut finir par souhaiter la disparition de nombreux insectes pour vivre en paix. Mais justement, c’est impossible, car les bénéfices que nous tirons des insectes sont nettement supérieurs aux dégâts qu’ils nous infligent, et que c’est très difficile de se séparer des « nuisibles » sans affecter les « utiles ». D’ailleurs, qui sommes-nous pour déclarer ainsi que certains êtres vivants sont intrinsèquement bons ou mauvais ? Ils ont tous une place dans l’équilibre des êtres vivants, dont nous faisons partie intégrante !
Pour commencer par le plus visible, les insectes pollinisateurs passent leur vie à polliniser les fleurs. Les abeilles bien sûr, très populaires car on apprécie leur miel au petit déjeuner, mais aussi bourdons, guêpes, papillons, mouches, etc. (il y aurait plus de 200 000 espèces d’animaux pollinisateurs !). La plupart des plantes que nous mangeons (près de 85 %) ont besoin de cette pollinisation pour vivre : presque tous les fruits (pommes, abricots, cerises, fraises, framboises, etc.), des légumes (courgettes, tomates, salades, etc.), mais aussi les radis, les choux, les navets, les carottes, les oignons, les poireaux, le thym, l’huile de tournesol ou de colza, et même le café et le chocolat ! Sans pollinisateurs, pour faire bref, il ne nous restera plus que le blé, le maïs et le riz, des repas somme toute assez déprimants, et, accessoirement, plus grand-chose à mettre dans nos pots de fleurs. La « valeur économique » de cette pollinisation gratuite a été estimée à environ 235 milliards de dollars par an !
En Chine, on en est bien arrivé à tenter de polliniser à la main, avec des cotons tiges imbibés de pollen, mais, indépendamment du coût d’une telle opération, comment remplacer efficacement toutes ces ouvrières si nombreuses et dures à la tâche, même dans les pays asiatiques où la main d’œuvre est abondante et mal payée ! Songeons qu’une abeille visite 250 fleurs en une heure, y compris dans les endroits les plus inaccessibles, et une ruche peut traiter à elle seule 3 à 5 millions de fleurs en une journée.
D’autres expériences consistent à polliniser via des drones, belle utopie sans grand avenir non plus. On tente aussi d’améliorer encore cette substitution via des mini robots pollinisateurs. Mais on n’en aura jamais des centaines de millions à disposition !
En Californie, par exemple, on estime que, pour être efficace, il faut implanter six à dix ruches – soit quelque 300 000 abeilles – pour polliniser un hectare d’amandiers. C’est là que se produisent 80 % des amandes récoltées dans le monde : ils en sont à 500 000 hectares et ils ont donc besoin de 1 à 2 millions de ruches en même temps sur la période très brève de la floraison (environ 15 jours). Inutile de dire qu’ils vont les chercher de plus en plus loin, sur tout le territoire des USA et même au Canada ! C’est une véritable noria de camions qui sillonne les autoroutes pour transporter carrément entre la moitié et les deux tiers des ruches de cet immense pays, louées 220 $ chacune. On ne peut tout simplement pas imaginer faire le job avec des dizaines de millions de robots pollinisateurs !
Des études publiées dans la revue Sciences en 2016 ont avancé que l’abondance des pollinisateurs constitue le critère le plus pertinent pour expliquer celle des récoltes, loin devant d’autres variables comme la date et la densité de semis, la lutte contre les ravageurs, ou la disponibilité en l’eau. Elle peut faire varier les récoltes de 53 %, surtout si on dispose non pas d’une seule espèce de pollinisateur, mais de plusieurs (il n’y a pas que les abeilles mellifères dans la vie !).
D’ores et déjà des scientifiques de l’université d’Harvard ont a pu évaluer à au moins 500 000 morts annuels prématurés par an les conséquences sur l’alimentation et la santé attribuables au déclin des insectes pollinisateurs et aux conséquences en termes de raréfaction et de renchérissement des fruits, légumes et de consommation insuffisante des aliments les plus sains… Or la disparition de l’ensemble des insectes pollinisateurs ferait baisser de 30 % en moyenne, les récoltes alimentaires mondiales.
Un deuxième rôle fondamental et vital des insectes est celui de décomposeur :
lorsqu’un animal meurt ou simplement défèque, tout est décomposé et recyclé par une variété d’organismes, dont de nombreuses espèces d’insectes. Sans l’aide des décomposeurs, les corps morts et les défécations de tous ne feraient que s’empiler, ce qui serait très insalubre et nauséabond. Ceci est aussi vrai pour les plantes qui meurent. Par exemple, les larves de certaines espèces de coléoptères ne peuvent survivre que dans l’écorce d’un arbre en décomposition. Avec l’aide de champignons, ils transforment le bois mort en engrais pour de nouvelles plantes. On a d’ailleurs torts d’évacuer systématiquement la totalité des arbres lorsqu’on déforeste, en empêchant le cycle de vie normal et naturel d’aller jusqu’à la décomposition. Heureusement, dans la plupart des parcs et jardins, on laisse dorénavant les arbres morts se décomposer sur place pour favoriser la biodiversité, et le compost des déchets organiques domestiques se développe rapidement.
Un troisième rôle consiste à contrôler les pestes.
Comme chacun sait maintenant, il ne faut pas trop tuer les araignées car elles mangent une quantité de moustiques, et chaque coccinelle peut manger une centaine de pucerons par jour. La libellule, le scarabée, la mante religieuse, la fourmi, la punaise, la mouche, etc. jouent le même rôle.
Parfois appelée « le tigre de l’herbe » en raison de ses mœurs voraces, la Mante religieuse, surnommée « le tigre de l’herbe » se nourrit d’insectes vivants (criquets, sauterelles, papillons, mouches, etc.) qu’elle attrape avec ses pattes avant et immobilise avant de les dévorer.
Au-delà de ces « affaires » qui se passent entre insectes, la disparition de ces derniers va compromettre l’existence de très nombreuses autres espèces qui s’en nourrissent. Les oiseaux insectivores bien entendu : hirondelle, merle, moineau, chardonneret, pivert, rossignol, alouette, étourneau, grive, etc. Il est significatif de constater que les rares hirondelles qui nous restent ont plutôt tendance à vivre près des villes, où elles trouvent encore quelques insectes à manger, que dans les plaines céréalières, lesquelles pour elles sont devenues de véritables déserts…
Il y a aussi des reptiles insectivores : lézard, salamandre, serpent, etc. Des mammifères : chauve-souris, hérisson, fourmilier, taupe, souris, musaraigne, etc. Des amphibiens : grenouille, crapaud, triton, etc. Des poissons : carpes, truites, etc. Et même les plantes insectivores ! Et bien entendu, on peut ensuite remonter dans la chaîne du vivant, avec tous les animaux qui se nourrissent de ces derniers.