Vingt-neuf ans après l’abolition du régime ségrégationniste de l’apartheid et la célébration de la «Journée de la Liberté», la criminalité, la pauvreté, le chômage et les inégalités rythment encore la vie de millions de citoyens Sud-africains.
Cette Journée, qui marque les premières élections libres tenues en Afrique du Sud le 27 avril 1994, ne sert pas seulement à rappeler aux Sud-africains leur sombre passé, mais souligne l’importance pour des personnes de tous horizons de se rassembler autour d’une cause commune.
Mais pour la majorité des citoyens lambda, le pays n’a pas encore fait de progrès notables depuis l’avènement de la démocratie. Au contraire, il a régressé au lieu d’aller de l’avant.
En effet, l’Afrique du Sud est toujours en proie à une criminalité galopante, à la xénophobie, à la pauvreté, à une corruption généralisée, à un taux de chômage record (34 pour cent) et aux inégalités les plus criantes au monde.
Le pays ressent également avec acuité la crise de l’électricité qui le plonge dans le noir, avec des coupures électriques récurrentes qui peuvent atteindre jusqu’à 12 heures par jours et des pertes économiques qui se chiffrent par des milliards de dollars. Il compte également le coût de plusieurs années de sous-investissement dans les infrastructures hydrauliques, ferroviaires, électriques et portuaires.
A cela s’ajoutent les conséquences dévastatrices de la capture de l’Etat durant les deux mandats de l’ex-président Jacob Zuma, un phénomène qui renvoie à la façon dont un réseau criminel au sein du gouvernement, des établissements publics et des entreprises privées avait pillé les coffres de l’État et vandalisé les institutions publiques. Selon le rapport de la Commission judiciaire d’enquête, la corruption était devenue systémique dans toutes les administrations de l’Etat et impliquait de hauts responsables du Congrès National Africain (ANC), parti au pouvoir, dont l’ex-président Zuma.
Et au regard des crises multidimensionnelles dont lesquelles s’engouffre actuellement le pays arc-en-ciel, il s’emble qu’il a encore un long chemin à parcourir avant d’inverser le cours de ses nombreux revers. Une situation aux abois que reconnait même le Président Cyril Ramaphosa qui a déclaré que «la liberté n’a pas de sens quand plus de 10 millions de Sud-africains sont sans emploi». Brossant un tableau peu reluisant de l’état de la nation, il a indiqué à l’occasion de la Journée de la liberté que «ces revers ont aggravé l’héritage dévastateur des inégalités de l’apartheid».
Quant à la classe politique et particulièrement l’opposition, elle pense que le pays de Nelson Mandela s’achemine droit vers la «faillite» sous la direction du Congrès National Africain. Le président d’ActionSA, Herman Mashaba, soutient à ce propos : « Je crois personnellement en tant que Sud-africain que le seul progrès est que je n’ai pas besoin d’être muni d’un dom pas (laissez-passer) pour pouvoir me déplacer, comme ce fût le cas sous l’ère de l’apartheid». Et d’ironiser : «Il n’y a rien à célébrer, 29 ans après 1994».
Idem pour Nicholas Nyathi du principal parti d’opposition, l’Alliance démocratique (DA), qui a déclaré que si les Sud-africains jouissaient de la liberté politique, la liberté économique dont ils avaient tant besoin est toujours à la traîne. «Ce qui est triste en Afrique du Sud, c’est que nous n’avons même pas la liberté de mouvement, parce qu’on ne peut pas marcher pour acheter du pain, sans craindre de se faire tuer…», regrette-t-il.
Si de nombreux Sud-africains ont alors accueilli la nouvelle ère politique avec beaucoup d’enthousiasme, ils croyaient que les dirigeants des sphères politique et économique seraient guidés par de nouveaux idéaux, étayés par l’intégrité. Ils admettaient alors que le nouveau régime politique permettrait la réalisation de l’aspirations à la liberté économique et aux idéaux les plus élevés de la démocratie. Mais ce n’est qu’un vœu pieu.
C’est que les dirigeants politiques ont raté l’occasion pour conduire la transformation économique avec la même vigueur que celle observée dans l’arène politique. Avant 1994, l’économie était sérieusement affectée par les sanctions et les désinvestissements, avec une pression accrue sur le terrain de la part de la population. Mais avec la fin du régime ségrégationniste, l’économie s’est ouverte et ceux qui détenaient et contrôlaient auparavant les actifs productifs de l’économie ont pu créer plus de richesse après 1994.
Quant à la majorité des citoyens, Noirs et Blancs, ils continueront à rêver d’un nouvel ordre économique fondé sur l’équité et la justice et, surtout, d’un ciblage des inégalités, de la pauvreté et du chômage.