samedi 20 avril 2024

Vague d’arrestations : Inquiétudes et interrogations à l’intérieur et à l’extérieur de la Tunisie

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La vague d’arrestations en Tunisie, opérée depuis le 11 février à l’encontre de figures de l’opposition, de lobbyistes, de magistrats et d’un patron d’une radio privée, ne semble pas s’arrêter de sitôt.

Pas moins de 20 personnes ont été arrêtées jusqu’ici pour motif « complot contre la sûreté de l’Etat ».

Les personnes arrêtées, issues de tous bords, islamistes, centristes, socio-démocrates, ont un point commun. Tous ou presque ont déclaré publiquement leur refus du processus enclenché le 25 juillet 2021, qu’ils qualifient de « coup d’Etat », appelé au boycott du référendum du 25 juillet 2022 sur la nouvelle Constitution et aux élections législatives du 17 décembre 2022. Tous également ont mis en garde contre le projet de gouvernance par la base et la mise en péril du processus démocratique et des libertés publiques.

Pour un grand nombre d’observateurs, si jusqu’ici, le ministère de l’Intérieur et le parquet ont observé un mutisme étrange, sans aucune communication officielle expliquant le bien-fondé de cette opération, qualifiée par certains, de coup de balais des figures de l’opposition, le Président Kaïs Saïed a, lors de deux apparitions, justifié ces arrestations.

Ignorant toutes les réactions hostiles, le président tunisien a justifié ces arrestations qui, selon lui, porteraient sur un complot contre la sûreté de l’Etat et des tentatives d’assassinat sur sa personne et responsable de la montée des prix et des pénuries de matières premières. S’adressant aux juges, il les a appelés à prendre leur responsabilité, estimant que la culpabilité des mis en cause a été « établie par l’histoire avant de l’être par les tribunaux », ajoutant que « ceux qui se permettent de les innocenter sont leurs complices ».

Le 1er mars, le président Saïed est allé encore plus loin, affirmant que « Sans un procès équitable et efficace, le peuple ne pourra pas récupérer ses droits et ne connaîtra pas la vérité qu’il a toujours appelée à révéler ».

Il a soutenu que ceux, qui ont comploté contre la sécurité intérieure et extérieure de l’Etat et ceux qui continuent de le persécuter dans tous les domaines, ne peuvent pas jouer le rôle de victime.

Au moment où le pouvoir tunisien fait face à des critiques acerbes à l’intérieur du pays et au plan international qui dénoncent un discours « raciste et haineux » du président Saïed contre les migrants subsahariens, de nombreux pays à l’instar des Etats Unis, de l’Union Européennes et d’organisations internationales, sont sortis de leur réserve, mettant en garde contre l’arrestation d’opposants politiques pour des motifs jugés « fallacieux ».

Pour de nombreux observateurs de la vie politique dans le pays, la belle image d’une jeune démocratie en construction née depuis 2011 se trouve aujourd’hui altérée sous le poids d’un populisme rampant, d’un système hyper présidentiel, sans véritable contre-pouvoir, qui n’hésite plus à mettre la justice au service de ses décisions politiques.

C’est ainsi que le porte-parole du département d’Etat américain, Ned Price, a exprimé, le 2 mars lors du briefing quotidien, l’inquiétude de son pays concernant des informations selon lesquelles des personnes en Tunisie ont été poursuivies pénalement pour avoir rencontré ou eu des échanges avec des membres de l’ambassade américaine.

Il a déclaré que cela faisait partie d’une tendance croissante d’arrestations de personnes considérées comme critiques envers le gouvernement tunisien.

A une question sur la récente vague d’arrestations en Tunisie, la porte-parole des Affaires étrangères de l’Union Européenne, Nabila Massarali, a estimé que « l’Union européenne suit de très près et avec une grande inquiétude les développements en Tunisie ».

Il est à noter que les ministres des Affaires étrangères de l’UE discuteront de la situation en Tunisie lors de leur réunion du 20 mars.

Le haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’Homme, Volker Türk, s’est dit, de son côté, « préoccupé » par les arrestations d’opposants.

Au plan intérieur, de nombreuses réactions ont été enregistrées. Le juge à la retraite et avocat, Ahmed Souab, a mis en garde contre le danger qui menace la liberté d’expression, soulignant qu’ils « veulent porter atteinte à la presse pour passer ensuite à l’Union générale tunisienne du travail. »

Le dirigeant du Front de Salut, Ahmed Néjib Chebbi, a affirmé, pour sa part, que « la campagne répressive », qui vise actuellement les dirigeants du Front et d’autres personnalités politiques et publiques, « traduit la politique de la fuite en avant adoptée par un pouvoir qui s’enlise dans la crise et qui cherche à distraire le peuple en lui offrant des boucs émissaires. »

Quant à l’écrivaine Hélé Béji, elle s’est interrogée dans une tribune publiée le 27 février dernier dans l’OBS : D’où vient le mal qui nous frappe ? Quelles en sont les causes ? Une seule : la perte brutale de la liberté depuis le 25 juillet 2021.

Pour elle, « la répression qui frappe les islamistes et s’étend à d’autres, conservateurs ou progressistes, fait revivre les peurs d’arrestations qui s’abattent sur tous ceux qui expriment leur désaccord ».

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