C’est peut-être une bombe qui vient d’exploser dans le monde de la cosmologie et de la physique théorique, bien qu’il soit encore trop tôt pour le savoir. On peut en prendre la mesure avec des déclarations récentes dans un communiqué de deux astrophysiciens. Il y a tout d’abord Chris Pearson, du STFC RAL Space britannique : « Si la théorie tient, alors cela va révolutionner l’ensemble de la cosmologie, car nous avons enfin une solution pour l’origine de l’énergie noire qui laisse perplexe cosmologistes et physiciens théoriciens depuis plus de 20 ans. » Vient ensuite Dave Clements, du mythique Imperial College London : « C’est un résultat vraiment surprenant. Nous avons commencé par étudier la croissance des trous noirs au fil du temps et nous avons peut-être trouvé la réponse à l’un des plus gros problèmes de la cosmologie. » Explications.
Une accélération de l’expansion avant tout
C’est le prix Nobel James Peebles qui a compris à la fin du XXe siècle que le cosmos observable devait probablement être décrit par un modèle relativiste avec une constante cosmologique accélérant l’expansion de l’Univers. En effet, les mesures de l’époque de l’âge des plus vieilles étoiles n’étaient pas vraiment compatibles avec l’âge estimé à partir de la mesure de la vitesse de l’expansion de l’espace dans le modèle cosmologique issu de la théorie de la relativité générale d’Einstein. Ajouter une constante cosmologique, comme l’avait fait une première fois Einstein en 1917, permettait de vieillir un peu l’Univers observable et de réconcilier son âge avec celui des étoiles.
De fait, de 1998 à 1999, deux groupes d’astronomes – menés indépendamment par Saul Perlmutter et Adam Riess – allaient montrer que tout se passait bien comme si la constante cosmologique d’Einstein était présente et accélérait l’Univers alors que l’on pensait qu’il décélérait constamment depuis la fin du Big Bang, comme un caillou lancé à la verticale dans le champ de gravitation de la Terre.
Les deux hommes recevront le prix Nobel de physique en 2011 pour leur découverte de l’expansion accélérée. Il se trouve aussi que la constante d’Einstein peut s’interpréter comme étant due à la pression d’une densité d’énergie exotique inconnue, une énergie noire, dont la masse dans un volume de plusieurs centaines de millions d’années-lumière de rayon domine largement la masse sous forme de galaxies et de matière noire, dans le cadre de ce qui constitue maintenant le modèle cosmologique standard.
Mais si cette énergie noire existe, ce qui reste à démontrer car l’accélération de l’expansion est peut-être causée par un autre phénomène, on ne sait toujours pas quelle est sa nature exacte ni si elle doit conduire le cosmos observable à être en expansion pour l’éternité (elle pourrait changer de nature dans le futur et de répulsive devenir attractive, ralentissant puis inversant l’expansion jusqu’à produire un nouveau Big Bang).
Il est donc très intéressant de prendre connaissance des thèses similaires avancées via deux articles publiés dans The Astrophysical Journal et The Astrophysical Journal Letters par une équipe de 17 chercheurs de neuf pays, dirigée par l’université d’Hawaï et comprenant des physiciens du STFC RAL Space et de l’Imperial College London.
Non seulement les trous noirs verraient leur masse augmenter sans avaler de matière du fait de l’expansion du cosmos observable, mais la théorie impliquant ce phénomène impliquerait aussi que les trous noirs influencent cette expansion au point de rendre compte complètement de l’existence de la valeur de l’énergie noire dont la densité constitue environ 70 % de la masse contenue dans un volume, comme celui dont on a parlé précédemment
Concrètement, les chercheurs s’étaient lancés dans un programme pour étudier sur une période de 9 milliards d’années de l’histoire du cosmos observable l’évolution des trous noirs supermassifs contenant d’un million à plusieurs milliards de masses solaires et que l’on trouve au cœur des grandes galaxies spirales, comme la Voie lactée, ou les grandes galaxies elliptiques comme M87.
Les elliptiques sont pauvres en gaz et en poussière de sorte qu’elles ne forment quasiment plus d’étoiles. Elles peuvent croître en entrant en collision puis en fusionnant, mais ce phénomène est plutôt rare, comme s’est réalisée la croissance de ces galaxies, les premiers milliards d’années de l’Univers, en accrétant du gaz provenant de filaments froids.
Or, les études des chercheurs semblent bel et bien montrer qu’au cours des précédents milliards d’années jusqu’à aujourd’hui les trous noirs supermassifs des elliptiques continuent à croître alors qu’ils ne peuvent presque pas trouver de matière à avaler, de sorte que ces galaxies sont de 7 à 20 fois plus grandes qu’il y a 9 milliards d’années, plus précisément dans des proportions qui ne semblent pas compatibles avec l’accrétion de matière effective ou par fusion entre trous noirs supermassifs pendant cette période.
À strictement parler, le phénomène n’est pas encore établi au-delà de tout doute, mais il pourrait le devenir dans les années à venir. Ce qui est intéressant, c’est que le taux de croissance des trous noirs supermassifs dans les elliptiques semble suivre une loi de puissance à partir de l’expansion de l’Univers observable.
Un problème de raccordement de l’espace-temps local des trous noirs à l’espace-temps global cosmologique
Il se trouve que ce phénomène était plus ou moins considéré depuis des années en se basant sur de nouvelles analyses de ce qu’il faut entendre par la conservation de l’énergie et de la quantité de mouvement dans un univers décrit par la relativité générale et surtout les énigmes rencontrées lorsque l’on essaie de décrire un trou noir de Kerr en rotation dont l’espace-temps est raccordé localement à un modèle cosmologique global.
Pour saisir un peu la nature du problème, il fait savoir que la fameuse solution de Kerr, qui décrit nécessairement tous les trous noirs en rotation qui doivent d’ailleurs se former parfois quand une étoile s’effondre car elles sont toutes en rotation, a une géométrie qui tend vers un espace plat à distance infinie. Il y a potentiellement un conflit si le trou noir se trouve dans un modèle cosmologique qui n’est pas plat globalement mais peut être, par exemple, une sphère de très grande taille.
On s’est posé aussi la question de savoir comment l’expansion de l’espace affectait la taille des orbites des planètes du Système solaire. Bref, il y a toute une série de questions et de calculs en relativité générale qui pointent vers la nécessité d’une analyse fine, voire d’une modification des lois de la gravitation d’Einstein, quand on veut considérer des trous noirs et une énergie du vide pouvant exister dans des modèles cosmologiques et y compris dans les trous noirs.
Cela conduit notamment à une théorie dans laquelle les trous noirs, supermassifs ou non, croissent naturellement en masse dans un univers en expansion et ou inversement, ils influent sur cette expansion en retour comme s’ils constituaient l’énergie noire.
Remarquablement, selon les publications des chercheurs, il est possible de rendre compte d’une assez bonne façon de la valeur de l’énergie noire actuelle comme si elle était causée par les trous noirs et en particulier les trous noirs stellaires venant de l’effondrement gravitationnel des étoiles massives.