mercredi 24 avril 2024

La Tunisie sent le roussi: une série d’arrestations parmi les opposants politiques

-

Une série d’arrestations de personnalités politico-médiatiques, des PV trafiqués, interdiction de se faire assister par son avocat, des perquisitions sans mandat, violation des procédures, la Tunisie vit, depuis 72 heures, sous le rythme des annonces sinistres. De quoi oublier l’inflation, les pénuries et le taux record d’abstention aux élections.

Les arrestations se suivent et se ressemblent, mais sans qu’il y ait un lien entre elles. Elles vont des magistrats suspectés d’être véreux au directeur de la plus grande radio du pays en passant par les plus célèbres lobbyistes et avocats.

En tout, une bonne dizaine d’arrestations ont eu lieu depuis samedi 11 février à 5h30 jusqu’au lundi 13 février vers 23 heures. Aucune annonce officielle, pour justifier ces arrestations, ni de la part du parquet, ni du ministère de l’Intérieur. On ne comprend pas, par ailleurs, pourquoi l’ensemble des arrestations ont eu lieu en dehors des horaires administratifs.

Khayam Turki :

Les faits : homme politique et lobbyiste, il a été arrêté à son domicile samedi à 5h30 du matin. Il serait depuis à la brigade antiterroriste. Jusqu’à cet instant, on ignore les faits qui lui sont reprochés.

Les éventuelles violations : à moins qu’il ne soit impliqué dans un complot contre l’État, Khayam Turki n’a pas pu être assisté par son avocat lors de l’interrogatoire. Les autorités n’ont cependant révélé aucun fait tangible étayant cette thèse complotiste.

Aux questions posées par ses avocats, le parquet a répondu samedi qu’il n’était pas au courant de l’arrestation et de la perquisition. Ce qui signifie que la perquisition à son domicile très tôt le matin se serait faite sans mandat judiciaire.

Dernier point révélé par son avocat, Khayam Turki a été arrêté samedi matin, mais le PV souligne qu’il n’a été arrêté que dimanche matin.

Kamel Letaïef :

Les faits : homme politique et lobbyiste, il a été arrêté à son domicile samedi vers 13 heures. Il serait depuis à la brigade antiterroriste. Jusqu’à cet instant, on ignore les faits qui lui sont reprochés.

Les éventuelles violations : Son cas serait identique à celui de Khayam Turki. Perquisition sans mandat, interdiction de l’assistance d’un avocat, changement de la date de l’arrestation dans le PV.

Abdelhamid Jlassi :

Les faits : Activiste politique et ancien dirigeant au sein du parti Ennahdha. Il a été arrêté à son domicile dans la soirée du samedi 11 février. Les faits qui lui sont reprochés restent inconnus.

Les éventuelles violations : Les policiers qui ont procédé à la perquisition de son domicile et à son arrestation ne se sont pas présentés. Selon l’épouse de Abdelhamid Jlassi, ce dernier aurait été conduit à un endroit inconnu.

Béchir Akremi :

Les faits : magistrat, ancien procureur et ancien juge d’instruction. Il est soupçonné d’avoir trafiqué des centaines de dossiers terroristes dans l’objectif de servir ses amis politiciens islamistes.

Il a été arrêté dimanche 12 février vers 18 heures à son domicile, mais cela fait très longtemps qu’il aurait dû être arrêté au vu des griefs qui lui sont reprochés.

Les éventuelles violations : ni le parquet, ni le ministère de l’Intérieur n’ont justifié cette arrestation un week-end, en dehors des horaires administratifs, concomitamment avec d’autres arrestations politiques.

Taïeb Rached :

Les faits : ancien premier président de la cour de cassation, ancien président du Conseil supérieur de la magistrature, il est suspecté d’être un magistrat véreux et a avoué, lui-même, sur antenne, des parties de son business de vente et d’achats de biens immobiliers.

 Il a été arrêté dimanche 12 février vers 18 heures à son domicile, mais cela fait très longtemps qu’il aurait dû être arrêté au vu des griefs qui lui sont reprochés.

Les éventuelles violations : comme pour le cas de son collègue et ennemi juré, ni le parquet, ni le ministère de l’Intérieur n’ont justifié cette arrestation un week-end, en dehors des horaires administratifs, en même temps que d’autres arrestations politiques.

Noureddine Boutar :

Les faits : journaliste et directeur de Mosaïque FM, la radio la plus écoutée du pays et connue pour sa ligne éditoriale hostile au régime. Il a été arrêté lundi 13 février vers 20 heures après perquisition de son domicile. Il a été interrogé à la brigade antiterroriste en présence de son avocate.

Les éventuelles violations : on ignore si la perquisition de son domicile s’est faite sur ordre du parquet avec un mandat en bonne et due forme, son avocate a été sommée de s’éloigner des lieux.

Au début de son interrogatoire, on ne lui a présenté aucun acte d’accusation. Le dossier serait vide d’après son avocate. Les questions ayant rempli son PV ont toutes tourné autour de Mosaïque FM, sa ligne éditoriale, ses ressources financières et ses bénéfices. Ceci constituerait une violation flagrante des articles 12, 13 et 14 décret-loi 115.

Noureddine Bhiri :

Les faits : avocat, député chef du bloc du parti islamiste Ennahdha au parlement et ancien ministre de la Justice, il a été arrêté lundi 13 février après 22 heures pour être emmené à la caserne de Bouchoucha. Son avocat, Samir Dilou, a déclaré qu’il a été arrêté dans le cadre de la même affaire de complot contre la sûreté de l’Etat impliquant Khayam Turki et Kamel Letaïef.

Les éventuelles violations : en sa qualité d’avocat, son arrestation ne peut se faire sans la présence du président de la section de Tunis de l’Ordre des avocats. Son interrogatoire ne peut se faire qu’en présence d’un avocat représentant cette section.

Plusieurs avocats témoignent que son épouse, elle-même avocate, et ses enfants auraient été agressés.

Lazhar Akremi :

Les faits : avocat, activiste politique et ancien secrétaire d’État à l’Intérieur, il a été arrêté à son domicile lundi 13 février vers 23 heures après une perquisition minutieuse de celui-ci.

Dans un premier temps, les forces de sécurité lui ont remis une convocation pour le lendemain devant la brigade antiterroriste. Dix minutes plus tard, on est revenu le chercher pour l’emmener à la caserne de Bouchoucha.

Les éventuelles violations : en sa qualité d’avocat, son arrestation ne peut se faire sans la présence du président de la section de Tunis de l’Ordre des avocats. Son interrogatoire ne peut se faire qu’en présence d’un avocat représentant cette section. À défaut, cela s’appelle du kidnapping, comme l’a qualifié son avocat.

On note par ailleurs que la liste des arrestations n’a pas commencé ce week-end et ne s’arrête pas aux personnes citées plus haut. Il y a eu également l’arrestation de syndicalistes grévistes et de l’ancien ministre de l’Intérieur Ali Larayedh, dont le dossier serait vide. Au vu du climat sulfureux qui plombe actuellement le paysage politico-médiatique tunisien, plusieurs craignent que la vague d’arrestations ne va pas s’arrêter là et qu’il va y en avoir d’autres dans les jours, voire les heures, à venir.

Derrière ces arrestations, un seul et unique nom : le président de la République. Aucun ministre n’oserait s’attaquer à autant de personnalités un week-end, sans ordre du parquet et sans dossiers judiciaires solides.

Quant aux explications, il y a ceux qui disent qu’il y a des parties occultes qui cherchent à pousser le président à la faute afin d’empoisonner davantage le climat politique et il y a ceux qui disent que le président est en train de jeter des écrans de fumée pour dévier le regard de la population sur son échec aux législatives, les pénuries et l’inflation actuelles et les privatisations d’entreprises publiques qui se préparent. En tout état de cause, ces arrestations cherchent à faire taire toute voix discordante. Plusieurs parmi les personnalités arrêtées sont connues pour leur franc-parler et leur opposition déclarée au régime de Kaïs Saïed.

- Advertisment -