vendredi 29 mars 2024

Tunisie: La grande désertion des multinationales

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Face à la dégradation du climat des affaires et aux difficultés à rapatrier leurs bénéfices, plusieurs sociétés étrangères s’interrogent sur leur avenir en Tunisie. Pour les investisseurs, tous secteurs confondus, le pays fait désormais office de « no-go zone ».

L’une après l’autre, les entreprises internationales envisagent de quitter la Tunisie en raison de la dégradation de l’environnement des affaires. L’accord arraché par Tunis auprès du Fonds monétaire international (FMI), d’un montant de 1,9 milliard d’euros, n’a pas suffi à rassurer les investisseurs pour le moment. Télécommunications, hydrocarbures, agroalimentaire : la quasi-totalité des secteurs économiques sont concernés.

Mais le phénomène touche en particulier le domaine pharmaceutique. Après les Suisses de Novartis, les Allemands de Bayer et les Britanniques de GlaxoSmithKline (GSK), la liste des laboratoires en partance s’allongera encore au mois de janvier : le géant américain Pfizer envisage de suivre le mouvement à cause de l’environnement économique et réglementaire jugé peu favorable en Tunisie.

La question des devises

D’après le Syndicat des entreprises pharmaceutiques innovantes et de recherche (Sephire), l’Etat tunisien, via la Pharmacie centrale de Tunisie, doit 750 millions de dinars, soit près de 225 millions d’euros, aux laboratoires. Et le retard s’accumule au fil des mois. Ces entreprises ont donc réduit leurs investissements, ce qui met également en péril l’industrie pharmaceutique locale, qui bénéficie de contrats de licence avec les géants internationaux.

La chambre syndicale des pharmaciens grossistes a d’ailleurs annoncé la cessation des activités de vente depuis le 15 novembre après que les autorités ont réfusé d’exonérer cette industrie de retenue à la source, aggravant la pénurie de médicaments qui court depuis plusieurs mois déjà. Du côté de la population, les délais de remboursement des médicaments par la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam) se sont également allongés.

Panique dans les télécoms

En ce qui concerne les télécommunications, les problèmes sont anciens mais de plus en plus aigus en raison de la baisse de recettes de l’Etat et de la pression exercée sur les réserves de devises de la Banque centrale de Tunisie (BCT). Les principaux opérateurs étrangers que sont le français Orange et le qatarien Ooredoo peinent à rapatrier leurs bénéfices en devises.

Une situation récurrente qui agace particulièrement les dirigeants d’Ooredoo, entreprise qui domine pourtant le marché et dont les bénéfices en Tunisie sont en hausse constante depuis plusieurs années. La maison-mère Ooredoo, présidée par l’homme d’affaires Faisal bin Thani al-Thani, possède 90 % des actions de la filiale tunisienne ; les 10 % restants appartiennent à l’Etat tunisien. Pourtant, selon nos informations, les dirigeants d’Ooredoo Tunisie envisagent de céder une partie des actions à un autre opérateur. Le géant américain AT&T est évoqué.

Les pétroliers déserteurs

En parallèle, nombre d’opérateurs pétroliers ont engagé ces dernières années des processus de cession pour leurs actifs tunisiens. CNPC, ENI, Kufpec, Mazarine Energy, Hunt Oil et OMV ont tous fait part de leur désir de se désengager – au moins partiellement – du pays (AI du 01/07/21).

La société Shell a fait officiellement ses adieux au pays en juin, date de l’expiration de l’une de ses licences sur le gisement de Miskar. La major anglo-néerlandaise avait communiqué sur son départ mi-2021, en espérant obtenir une extension des autorités sur ce bloc, mais cette stratégie n’a pas eu l’effet escompté.

Sans aller jusqu’à un départ définitif, les pétroliers toujours actifs en Tunisie – notamment Perenco – sont extrêmement critiques vis-à-vis des autorités, à qui ils reprochent pêle-mêle leur inertie dans l’approbation des concessions, l’absence de régulations attractives pour encourager le développement des champs matures et la taille trop réduite des concessions, qui handicapent les investisseurs dans le recouvrement de leurs coûts (AI du 22/01/21).

La loi de finances, raison d’espérer?

Les entreprises étrangères attendent donc avec impatience la loi de finances 2023 qui pourrait rétablir un cadre qui serait plus favorable pour elles. Dans la version de 2022, un point les avait particulièrement défavorisées : l’article 52, qui porte sur l’arrêt du régime de suspension de la TVA pour les sociétés de commerce international. Une mesure à contre-courant des voisins régionaux comme le Maroc et la Turquie, qui proposent un cadre beaucoup plus souple pour les investisseurs étrangers et qui mènent une politique économique plus offensive. La première mouture du projet de loi qui a fuité début novembre ne prévoit cependant aucune modification notable du cadre juridique de l’investissement en Tunisie.

Source: Africa Intelligence

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