vendredi 19 avril 2024

Morsi défie l’armée égyptienne en annulant la dissolution du Parlement

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Par Claire Talon 


  Moins d’une semaine après son intronisation en fanfare par le Conseil suprême des forces armées (CSFA), le nouveau président égyptien, Mohamed Morsi, s’est opposé radicalement dimanche 8 juillet à la volonté des militaires. Ceux-ci avaient pourtant pris soin de limiter considérablement ses pouvoirs avant de l’adouber. Mais en annulant par décret la décision prise le 16 juin par le CSFA de dissoudre le Parlement, Mohamed Morsi a redonné de facto aux députés le pouvoir législatif qui leur avait été confisqué par les généraux à la veille du second tour du scrutin présidentiel.

 

  Le chef de l’Etat semblait avoir avalé toutes les couleuvres imaginées par les militaires pour en faire un président fantoche: la dissolution du Parlement dominé par les islamistes le privait d’emblée de tout appui législatif, alors qu’un complément à la déclaration constitutionnelle, émis par les militaires le jour du résultat des élections, le rendait totalement dépendant du CSFA pour toute décision importante. En acceptant de prêter serment le 30 juin devant la Haute Cour constitutionnelle, Mohamed Morsi a laissé croire qu’il reconnaissait la déclaration constitutionnelle qui le privait de ses principales prérogatives, alimentant les soupçons de ceux qui accusaient les Frères d’avoir noué un accord tacite avec les militaires afin de se partager le pouvoir.

 

  Pourtant, ce décret inattendu n’a pas surpris que ceux qui dénonçaient depuis des mois la complaisance des Frères à l’égard des autorités militaires. Elle semble avoir pris de court le Conseil suprême des forces armées lui-même, qui s’est réuni en urgence dimanche 8 juillet, à peine la nouvelle annoncée.

 

CONTRADICTIONS

 

  Cet énième rebondissement vient alimenter un feuilleton politico-judiciaire interminable, dont les tenants et les aboutissants sont de moins en moins lisibles. La stratégie des Frères musulmans, en particulier, apparaît désormais moins liée à une vision à long terme de leurs rapports avec les autres forces politiques qu’à une vision très restreinte et ponctuelle de leurs intérêts immédiats, ce qui rend leurs choix politiques largement imprévisibles.

 

  Depuis son élection, Mohamed Morsi a multiplié les déclarations contradictoires: il a promis solennellement de défendre les institutions démocratiquement élues tout en réaffirmant son respect absolu des décisions de justice et sa soumission aux jugements de la Haute Cour constitutionnelle.

 

  Cette ambiguïté explique le fait que beaucoup ont accueilli négativement le décret présidentiel. La plupart des libéraux ont poussé des cris d’orfraie, se déclarant scandalisés que le président ne respecte pas une décision de justice. « Le président corrige une erreur par une autre, a déclaré le député Ziyad Al-Ellimi (Parti social-démocrate). Il corrige la dissolution du Parlement en s’ingérant dans les jugements de la justice. » Ces critiques ont été relayées par des juristes, qui estiment même que ce décret pourrait être déclaré illégal.

 

  Mais pour l’avocat Ahmed Rageb, directeur du Centre Hisham Moubarak pour les droits de l’homme, « la Haute Cour constitutionnelle s’est contentée de juger que la loi qui a présidé à l’élection du Parlement était illégale. Mais la décision de dissoudre la Chambre basse, elle, vient de l’armée. Et elle est discutable, ce n’est qu’une interprétation du jugement : on peut tout aussi bien soutenir que seulement un tiers du Parlement doit être dissous et réélu. C’est le sens du recourt déposé par les députés devant la Cour administrative, qui doit rendre son jugement sur le sujet lundi 9 juillet. En décrétant la validité du Parlement, Mohamed Morsi ne fait que reprendre au CSFA les prérogatives que ce dernier exerçait en tant que remplaçant du président de la République. »

 

  S’achemine-t-on pour autant vers un affrontement entre les Frères musulmans et les militaires ? En appelant d’emblée les députés de l’Assemblée parlementaire dissoute à se réunir lundi 9 juillet et à reprendre leurs travaux malgré le blocus imposé par l’armée devant le siège du Parlement, le président de la Chambre basse, le Frère musulman Saad Al-Katatny, a laissé planer le spectre d’accrochages avec les forces de l’ordre.

 

CRAINTES DE VIOLENCES

 

  Des actes de violence ne sont pas à exclure après que les Frères ont appelé leurs partisans à venir manifester leur soutien à Mohamed Morsi sur la place Tahrir, déjà occupée depuis l’élection présidentielle par un sit-in animé par les islamistes contre le conseil militaire.

 

  « Ce qui se profile, c’est plutôt un clash avec la clique des juges de Moubarak, qui sont toujours à la tête des institutions judiciaires et qui sont très hostiles aux Frères, tempère Ahmed Rageb. Encore plus que le chaos institutionnel dans lequel est tombée l’Egypte, cette affaire est symptomatique de la crise du système judiciaire égyptien. Les Frères vont continuer à négocier avec l’armée et vont sans doute trouver une solution. Le Parlement pourrait voter lui-même la dissolution d’un tiers de ses députés. Dans tous les cas, celui-ci n’est que temporaire. Il sera remplacé par un autre dès que la nouvelle constitution aura été ratifiée. »

 

  Mais combien de temps cela prendra-t-il ? Le décret de Mohamed Morsi prévoit que de nouvelles élections législatives soient organisées moins de deux mois après la rédaction de la constitution. Mais pour l’instant, les travaux de la constituante (elle-même soumise à la menace d’une dissolution par le CSFA) piétinent, enferrés dans un conflit entre libéraux et islamistes. D’ici là, le nouveau président, qui n’a pas réussi en deux semaines à mettre sur pied un gouvernement suffisamment consensuel, a absolument besoin de l’appui du Parlement pour mener à bien son « plan de réforme des 100 jours », fer de lance de sa campagne sur lequel il joue sa crédibilité. Les jours lui sont maintenant comptés. Mais le feuilleton judiciaire, déjà passablement kafkaïen, semble ne faire que commencer.

 

 

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