dimanche 10 décembre 2023

A.Seddiki: La caisse de compensation fait partie des dossiers brûlants

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 lareleve.ma

 

     Suite aux dernières augmentations des prix des carburants décidées par le gouvernement Benkirane et entrées en vigueur le samedi 02 juin 2012, nous avons contacté l’économiste Abdeslam Seddiki, professeur de sciences économiques à Rabat, qui a bien voulu nous accorder cette interview, pour nous éclairer sur des questions que les citoyens ne cessent de se poser à ce sujet.

 

    Le chef de gouvernement parle aux medias d’une possibilité de suppression de la caisse de compensation en place depuis des années. que pensez vous M. Saddiqi  des inconvénients et avantages d’une telle décision, qu’aucun premier ministre n’a osé prendre auparavant ?

 

  Le programme gouvernemental prévoit la réforme de la caisse de compensation et non sa suppression.  La suppression n’est pas à l’heure actuelle à l’ordre du jour. Elle doit être dans  tous les cas graduelle. Ce qui est demandé à l’heure actuelle, c’est de faire en sorte que les riches n’accaparent pas les subventions publiques affectées à la caisse de compensation : et là plusieurs scenarios sont envisagés sur lesquels les gouvernements précédents ont déjà travaillé et le gouvernement   actuel   continue la réflexion. Il faut rappeler que la réforme de la caisse de compensation  est à l’ordre du jour depuis le gouvernement Youssoufi. Mais comme  la «patate brûle», personne n’ose y toucher !

 

  La conjoncture économique permet-elle une augmentation des prix des carburants et produits de consommation, sans parler des salaires et taux élevé du chômage?

 

  La conjoncture actuelle au Maroc est difficile :  les finances de l’Etat sont dans la zone rouge, les indicateurs macro-économiques ne sont pas rassurants,  déficit commercial croissant, tarissement des recettes du tourisme et des transferts des RME, recul net des Investissements directs étrangers, persistance du chômage, … En bonne logique, une telle situation n’est pas favorable à l’augmentation des prix des carburants. Mais  d’autres vous diront que si on ne fait rien, la situation risque de s’aggraver davantage. Le choix à faire n’est pas facile.

 

   Pouvez vous nous éclairez sur les raisons d’une telle augmentation des prix des carburants ?

 

  Les raisons avancées par le gouvernement pour procéder aux augmentations des prix des carburants sont purement d’ordre financier. Les sommes allouées dans la loi de finances 2012  à la caisse de compensation (35 milliards de DH)   sont consommées à hauteur de 80%. A fin juin, il ne restera pas un sou !!D’où la nécessité de puiser dans le déficit budgétaire, ce qui mettrait à mal l’équilibre de nos finances et compromettait la crédibilité du Maroc. On connait bien la chanson : c’est la même partout.  A supposer que le gouvernement ait raison de recourir à une telle augmentation, il aurait pu procéder d’une manière graduelle en se limitant à un taux de 6-10% au lieu de 14% sur le prix du gasoil et du fuel industriel, et de 20% sur le prix de l’essence. Rarement dans l’histoire du Maroc, on a procédé à des ajustements de cette ampleur.

 

  Visiblement, le gouvernement a choisi la solution de facilité, celle qui consiste à chercher de l’argent dans la poche des masses populaires au lieu d’aller le chercher là où l’argent abonde : chez les riches.

 

  Si jamais suppression il ya, pourriez vous expliquer au citoyen marocain quels seraient les prix prévisibles pour les produits de consommation? Le sucre, l’huile de table et les bonbonnes de gaz.. par exemple.

 

  On n’est pas encore au stade de la suppression de la caisse de compensation. Pour l’instant, le gouvernement nous promet des mesures d’accompagnement pour atténuer l’impact de la hausse des carburants sur le pouvoir d’achat. Car on sait que lorsque le prix des carburants augmente tout augmente. Et même là où l’augmentation ne se justifie pas, certains spéculateurs  saisissent l’opportunité pour tirer la couverture de leur côté. Le gouvernement  est appelé à être vigilant contre toutes les pratiques malsaines. D’ailleurs, les transporteurs de marchandises et de voyageurs n’ont pas tardé à répercuter  l’augmentation sur le consommateur et l’usager.  Le panier de la ménagère commence déjà à subir les effets néfastes de cette augmentation.

 

  A votre avis, le gouvernement Benkirane sera-t-il en mesure de résister aux réactions générées par cette hausse des prix des carburants, que d’aucun ont qualifié de surprise ?

 

  Il n’a pas le choix. Et je ne pense pas que le gouvernement ait pris sa décision à la légère. Il sait à quoi s’attendre. Le consommateur ne se laissera pas faire facilement et n’est pas une proie facile. Mais le gouvernement n’est pas dénué d’arguments à condition qu’il soit plus pédagogue. Il faut qu’il s’explique davantage, qu’il communique, qu’il nous dise clairement quelles mesures compte-t-il prendre dans l’immédiat pour relancer la machine économique et protéger le pouvoir d’achat. Le temps presse et l’étau risque de se resserrer autour du gouvernement au cours des tous prochains jours.

 

  Quels impactes auraient les hausses des prix du carburant et du ciment sur le secteur de l’immobilier ?

 

   L’augmentation du prix du ciment et des carburants va impacter négativement un certain nombre de secteurs clés dans la création des emplois particulièrement le bâtiment. D’autres entreprises,  verraient leur compétitivité entamée car   le coût de l’énergie représente entre 15 et 20% du coût de production. Le calcul est facile à faire : une augmentation de 14% entraînerait une augmentation de 3% des coûts de production et grèverait d’autant la compétitivité de l’entreprise marocaine.

 

  Certains ministres ont qualifié la décision d’augmentation des prix des carburants de «courageuse», en quoi réside ce courage, à votre avis ?

 

  Je n’ai à répondre à la place de ces ministres. Il faut leur adresser directement la question. Je veux simplement dire que l’audace n’et pas toujours une vertu. Moi je préfère la concertation  à l’audace. On n’est pas dans une partie de compétition  pour battre les records.

 

 

  A votre avis, pourquoi aucun des gouvernements qui se sont alternés au Maroc n’a osé supprimer le système de compensation ? et quelles sont les contraintes qui pèsent sur le gouvernement actuel en s’attelant à une telle reforme ?

 

  La caisse de compensation fait partie des dossiers épineux et brûlants. Elle est liée à l’équilibre social et à la régulation économique : son existence est justifiée historiquement par la politique de bas salaires à l’œuvre au Maroc et l’inexistence de filets de sécurité. Par conséquent, toute réforme de la caisse doit prendre en considération ces contraintes: une nouvelle politique de revenus mettant fin aux disparités sociales exorbitantes, une réforme fiscale profonde, des filets de sécurité et de solidarité efficaces… Sur toutes ces questions et d’autres, il faut de l’audace.

Interviewé par Aziza Hrich

Traduit par Mohamed Boudari

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