vendredi 19 avril 2024

Risques, incertitudes et complexité de la pandémie COVID-19

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Nadia NASSE ALAOUI*

 

La distinction entre Risque et Incertitude a été décrite semble-t-il pour la première fois de l’histoire contemporaine dans un ouvrage inédit intitulé (Risk, Uncertainty and Profit) par l’économiste américain Frank Knight.

Souvent, on confond incertitude et risque. Elles recouvrent toutes les deux la possibilité d’événements modifiant de façon dommageable une situation. Mais il y a une importante différence entre ces deux types d’aléas qui sont :

• Le risque est mesurable, il s’agit d’un futur dont la distribution d’états possibles est connue. Il est caractérisé par trois composantes :

–        La menace est toujours extérieure à un système

–        La vulnérabilité que la menace/scénario peut exploiter pour avoir des impacts.

–        Les impacts, sont classés selon le niveau de gravité

• L’incertitude est non mesurable :

il renvoie à l’inconnu. Il s’agit d’un futur dont il est impossible de connaître la distribution d’états. Le mot désigne toute nouvelle situation non quantifiable dont les conséquences pourraient être bénéfiques ou négatifs.

Par exemple, si l’on met trois boules rouges et deux boules bleues dans un sac, on connaît la probabilité « risque » dans un premier tirage d’extraire une boule rouge (60%). Le risque correspond donc à un événement identifiable, itératif, qu’on peut modéliser en un modèle statistique reproductible permettant d’anticiper l’avenir. Ainsi, l’historique des vols de voitures permet aux assureurs de tarifer l’assurance contre le vol automobile : si 0,3% des Renault Clio sont volées chaque année, vôtre Clio a 0,3% de chances de l’être.

Pourquoi avons-nous peur du coronavirus ?

Le coronavirus effraie parce qu’il représente un phénomène nouveau, sur lequel nous avons peu d’informations et de connaissances disponibles (Philippe Silberzahn).

Le locataire de la Maison Blanche, le président Donald TRUMP s’est risqué à une prédiction : « D’ici avril, ou au cours du mois d’avril, la chaleur en général tue ce genre de virus, ce serait une bonne chose », a-t-il souligné. Alors qu’à ce jour les USA culminent en nombre de malades et de morts par Covid 19(1,5 millions de malades et presque 90000 morts)2.

Le professeur Eric Caumes, chef du service des maladies infectieuses de la Pitié Salpêtrière, a fait en fin décembre 2019 une sortie médiatique déclarant : « Si vous n’avez pas peur de la grippe (jusqu’à 10000 décès/an en France), pourquoi avez-vous peur du coronavirus ? » Cela semble le bon sens même, et pourtant la comparaison n’est pas légitime, car elle ignore une distinction très importante, celle entre le risque et l’incertitude, qu’un décideur doit absolument maîtriser.

Distinction entre risque et incertitude

La distinction entre risque et incertitude permet de comprendre la différence entre la grippe saisonnière et le coronavirus. La grippe est une maladie qui revient chaque année. Elle est bien connue, son impact aussi. Elle fait partie du domaine du risque. Les sociétés contemporaines savent le gérer. Sa répétition fait que, malgré sa morbidité forte (jusqu’à 650000 décès par an à travers le monde selon de nouvelles estimations publiées par les Centers for Disease Control and Prevention des États-Unis d’Amérique (CDC), l’Organisation mondiale de la Santé et leurs partenaires de l’action sanitaire mondiale.)3.

Le coronavirus, lui, est inédit. S’il est connu pour certains aspects, il ne l’est pas sur d’autres. Face à cette pandémie, une incertitude est évidente, notamment sur les faits qui l’entourent. Il se pourrait qu’il provoque des milliers de morts, il pourrait aussi devenir l’épidémie du siècle, une nouvelle grippe espagnole (50 millions de morts au moins entre 1918 et 1919).

Ceci dit, il faudrait rappeler que depuis le début des publications chinoises, italiennes, françaises, espagnoles et allemandes sur les caractéristiques épidémiologiques, cliniques, diagnostics thérapeutiques et préventives du Covid 19 jusqu’au début du mois de mai 2020, un éloignement de l’incertitude et une direction vers le risque se profilent sans pour autant l’atteindre. Ce qui renvoie à la complexité, qui impose de prendre des décisions spécifiques, c’est ce qui ressort dans (L’avenir de la décision : connaître et agir en complexité) d’Edgar MORIN.

Par ailleurs lors d’une interview accordée par Edgar Morin au journal le monde dont les propos ont été recueillis par Nicolas Truong, « Cette crise devrait ouvrir nos esprits depuis longtemps confinés sur l’immédiat ».

La pandémie due à cette forme de coronavirus n’était pas prévisible même chez tous et les futurologies du 20 siècle, et pourtant, certains continuent de prédire 2025 et 2050 alors que l’on se trouve incapables de comprendre 2020. L’arrivée d’un imprévisible était prévisible, mais pas par cette nature. « Attends-toi à l’inattendu » et pourtant, Il y eut un prophète de cette catastrophe : Bill Gates, dans une conférence d’avril 2012, annonçant que le péril immédiat pour l’humanité n’était pas nucléaire, mais sanitaire. Il avait vu dans l’épidémie d’Ebola, qui avait pu être, par chance, maîtrisée assez rapidement, l’annonce du danger mondial d’un possible virus à fort pouvoir de contamination, il exposait les mesures de prévention nécessaires, dont un équipement hospitalier adéquat. Mais, en dépit de cet avertissement public, rien ne fut fait aux Etats-Unis ni ailleurs car le confort intellectuel et l’habitude ont horreur des messages qui les dérangent.

Le caractère imprévisible de l’incertitude n’est jamais nulle (certitude de l’incertitude) mais peut être très faible. Il révèle ainsi l’illusion d’une sécurité parfaite. Il y a des situations radicalement inédites, où tout est incertain, mais cela est relativement rare. Même lors de la peste noire au 14éme siècle, les gens savaient qu’il fallait éviter les contacts.

Le plus souvent, on peut se référer à des situations analogues, ce qui va permettre de mettre en lumière des similitudes et des différences. Ainsi du coronavirus où l’information semble floue. Si l’information est disponible sur les mesures prophylactiques efficaces (lavage des mains…..), il l’est peu sur son modus operandi, sur la façon de le soigner, le taux de morbidité, celui de mortalité très disparate d’un pays à l’autre. En plus, un flou reste sur les modes de transmissions de ce virus (ne pas porter une bavette puis après peu de temps, verbaliser les gens qui ne portent pas de bavette), ni comment il induit les formes graves de covid19 chez certains et épargne d’autres. Comme conséquences naturelles à cette incertitude qui règne, plusieurs stratégies de riposte ont été adoptées à travers le monde dont même point commun : « aucune stratégie ne ressemble à une autre totalement malgré des similitudes».

Cette situation incertaine alimente les polémiques et les couple thèse -antithèse sur la fiabilité de certains tests diagnostiques et à l’efficacité de certains protocoles thérapeutiques par rapport à d’autres (le phénomène RAOULT) et encore moins aux délais estimés de mise sur le marché d’un éventuel vaccin si cela se réalise. Par ailleurs, même si des chiffres sont disponibles ces dernières semaines, nul ne peut prédire si le virus responsable du Covid19 va muter en une forme beaucoup plus létale, comme ce fut le cas lors de la grippe espagnole.

D’autre part, à la question du fléchissement de la pandémie quand l’épidémie commencerait à fléchir, le directeur de l’Institut américain des maladies infectieuses, Anthony Fauci, membre du groupe de travail présidentiel sur le virus (Task Force), avait répondu vendredi 27 Mars 2020:«Nous ne savons pas».

COVID19 face au défi de la complexité

De plus en plus, les connaissances se multiplient de façon exponentielle, du coup, elles débordent la capacité de les approprier, et surtout elles lancent le défi de la complexité : comment confronter, sélectionner, organiser ces connaissances de façon adéquate en les reliant et en intégrant l’incertitude ?

 Cela révèle une fois de plus la carence du mode de connaissance inculqué, qui fait disjoindre ce qui est inséparable et réduire à un seul élément ce qui forme un tout à la fois un et divers. En effet, la révélation foudroyante des bouleversements actuels, est que tout ce qui semblait séparé est relié, puisqu’une catastrophe sanitaire engendre des catastrophes en chaîne la totalité de tout ce qui est humain.

La préoccupation qui demeure dès lors omniprésente, est de faire face au danger. Si des décisions drastiques à coûts économiques et sociaux importants sont prises alors que les signes du virus ne sont pas encore visibles, pour une épidémie qui s’avérera peut-être mineure, le décideur peut être accusé d’alarmisme. Mais si elles sont prises lorsque les signes sont là, il est peut-être trop tard et le décideur aurait ainsi permis une catastrophe. Une telle situation a été décrite par Pierre DAC : (Il est encore trop tôt pour savoir s’il est trop tard)

Mais il faut savoir que c’est dans l’adage “Mieux vaut des remords que des regrets” qu’on célèbre le courage et la volonté de changement de la part du décideur.

Les travaux sur l’incertitude montrent qu’il est souvent plus sage d’évaluer la perte acceptable que le gain attendu ou les économies faites en conséquence. A cette difficulté s’ajoute un paradoxe : l’efficacité même d’une réponse riposte à l’épidémie ; ce qui suggère à l’avance une maitrise du management stratégique et une familiarisation avec les outils de la performance notamment Balanced Score Card (BSC).

En fin de compte, l’épisode du Coronavirus suggère trois points clés pour le décideur confronté à l’incertitude dans un souci majeur de prendre une ou des décisions qui doivent inéluctablement passer par le passoir de l’échelle SWOT :

 le premier, est d’avoir conscience des degrés d’incertitude de la situation et de bien distinguer entre ce que l’on sait, ce que l’on suppose, ce que l’on ne sait  pas et ce qui ne peut être connu ; le deuxième, est d’être capable d’identifier des situations analogues dont on peut s’inspirer, à condition de bien distinguer ce qui est similaire de ce qui est différent ; le troisième, est de peser autant que possible les risques entre agir de façon drastique, l’option la plus recommandée, et agir trop tard. La notion de perte acceptable doit être le fer de lance dans l’arrêt de bilan de fin de crise Coronavirus.

Références bibliographiques :

1-      Frank H. Knight, Risque, incertitude et profit [1921]

2-      https://www.worldometers.info/coronavirus/#countries

3-      Bulletin de l’Organisation mondiale de la SantéVolume 90 : 2012, Avril 2012, 245-320

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*Doctorante en gestion des Risque à l’INAU

-Master en droit public Français – Faculté Mohamed V des Sciences Juridiques Et Sociales, Agdal-Rabat

-Lauréate de l’ENA de Rabat (Cycle diplomatique – Relation Internationale)

 

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