Dodin Bouffant porte bien son nom. Dans le film de Tran Anh Hung, qui va représenter la France aux Oscars, il passe son temps à manger. C’est Benoît Magimel qui tient le rôle de ce gastronome de la fin du XIXe siècle, bourgeois aisé habitué à recevoir ses amis autour d’une table où les mets les plus savoureux ont été imaginés le plus souvent par ses soins et préparés avec lui par sa cuisinière Eugénie, que joue Juliette Binoche.
On passera rapidement sur le versant sentimental de l’intrigue de La Passion de Dodin Bouffant, celui de la chair. Pour insister sur la chère, celle qui met en appétit, grâce à la belle « direction gastronomique » que donne au film le chef Pierre Gagnaire. « Au départ, Juliette et Benoît avaient peur de mal faire. Mais quand ils sont venus me voir travailler dans mon restaurant, éclaboussant les plats, ils sont vite devenus plus détendus. L’important, ce n’est pas la technique, mais l’émotion, l’envie de donner, précise le chef. L’éclaboussure, le légume pas très bien taillé n’a pas d’importance, mais il faut que le carré de veau arrive rosé, comme il se doit, que tout soit juste. »
Loin de « Top Chef »
En dépit de l’esthétique très cinématographique donnée au film, on est loin du rythme trépident des émissions de télé comme « Top Chef ». Tran Ahn Hung fait jouer les gestes en temps réel et les filme en plans séquences, ce que Pierre Gagnaire approuve. « Pour faire de la bonne cuisine, il faut prendre son temps, affirme le chef. Ce parti pris de la lenteur, c’est celui du film mais c’est aussi le mien : une forme d’écoute, d’introspection, de retenue. Prendre le temps de trouver le bon légume ou la bonne pièce de viande, l’apprêter, préparer toute cette petite mécanique qui fait que tout se met en place pour obtenir quelque chose de beau, de bon, de chaud quand il le faut et de gourmand. »
Des plats tellement « gourmands » que les acteurs ne s’arrêtaient pas entre les prises. « Quand je disais ‘coupez’, ils continuaient de manger et les assistants devaient dresser de nouvelles assiettes pour les raccords des plans suivants » « Oui, il y a eu des moments cocasses, sourit Pierre Gagnaire. Parce que la nourriture était bonne quand même. » Certains comédiens finissaient même par prendre du poids. « Benoît Magimel grossissait au fil des jours, raconte le réalisateur. Au point d’inquiéter ma femme Tran Nu Yên-Khê, qui s’occupe des costumes : ‘Il faut que tu finisses vite le film parce que là, je n’ai plus de place pour agrandir ses vêtements’. Vers la fin du tournage, elle me dit ‘Hung, cette scène-là, tu la fais déboutonnée parce que c’est impossible autrement’. »