Ali Hajji
David Lynch aurait-il pris sa retraite cinématographique sans préavis? Sans nouvelles de projets éventuels d’un des cinéastes les plus brillants au monde, on serait en mesure de se poser la question. C’est silence radio depuis la sortie d’Inland empire, voilà plus de 5 ans, même si l’artiste a été prolifique dans d’autres domaines, allant même jusqu’à s’illustrer dans la musique, l’art contemporain et la promotion de la méditation transcendantale. Et c’est sur ce dernier sujet qu’il prépare un documentaire, sur l’un des gourous de ce courant.
Les rumeurs de retraite ont bien été contredites par Lynch lui-même, qui a dit travailler sur un nouvel opus mais on ne voit rien venir… Tant mieux diraient ses détracteurs, très nombreux dans la planète cinéphile, tellement son univers déroute. Mais pour les aficionados de ce cinéma de l’étrange et du subconscient dont je fais partie, ce serait une véritable catastrophe. Alors vite, David, fait nous un bon film sombre, très sombre et labyrinthique, genre dans lequel tu trônes en maître inégalé.
Et pour se replonger dans cet univers tortueux à forte teneur de fascination, retour sur l’une des pépites noires les plus frappantes de son œuvre, Lost Highway. « J’aime faire des films parce que j’aime voyager dans un autre monde. J’aime me perdre dans un autre monde. Et un film pour moi est un support magique, qui fait rêver… qui nous permet de rêver dans le noir. C’est juste fantastique, de se perdre dans le monde des films ». Voilà qui est dit.
Lost Highway est une épopée mentale. Précurseur du sublimissime Mulholland drive, il s’agit d’une œuvre totalement lynchienne, qui contient les éléments de prédilection de son auteur, un monde cérébral, fait d’étrangetés et de bizarreries où chaque parole, chaque objet, contient un sens caché et une face obscure. Un monde où l’âme est violentée et où rien n’est immédiatement explicable.
Lost highway s’ouvre sur une route de nuit où un véhicule file à toute vitesse au son d’un titre de David Bowie. D’emblée, on ne sait où va nous mener cette équipée folle, ponctuée de bandes jaunes rythmant le défilé à toute allure. L’action du film, divisé en deux parties distinctes, se situe à Los Angeles. Fred Madison, saxophoniste, soupçonne sa femme, Renee, de le tromper. Il la tue et est condamné à la peine capitale. Le film raconte l’histoire de cet assassinat du point de vue des différentes personnalités de l’assassin lui-même. Dès le départ, Lynch met en place un puzzle mystérieux qui confine davantage à l’abstraction. Un film au bord du vide, où les sens s’ouvrent à un sentiment de bizarrerie dans une atmosphère quotidienne.
Le cinéaste convoque toutes les figures familières du film noir mais en déconstruit les codes un à un pour mieux nous perdre dans ce délire cauchemardesque. Mais il en maîtrise tous les aspects à travers une mise en scène virtuose et élégante, où chaque détail à son importance. L’épure et le malaise domine et on bascule alors dans la schizophrénie de son personnage principal, incarné ici par Bill Pullmann, acteur un peu oublié des années 90 et qui livre ici sa meilleure interprétation à ce jour.
Laissez vous basculer dans cet univers qui posent des tas de questions mais n’apporte jamais de réponse. Le voyage en vaut la chandelle. A condition de s’y laisser aller.